“La liberté d’être et de créer est un paradoxe” 

Ouverte à Lausanne en 1997, sous l’impulsion de François Landolt, Les Teintureries Ecole Supérieure de théâtre cultive l’altérité et promeut le risque. Rencontre avec sa directrice artistique, Nathalie Lannuzel.

Crédit: Anne-Laure Lechat

Dans quelles circonstances et par qui a été créée l’école?

– L’école a été créée en 1995 par François Landolt, encouragé par René Gonzalez, alors directeur du Théâtre de Vidy. Il souhaitait offrir une forme d’alternative à la SPAD (Section Professionnelle d’Art Dramatique).

De quelle manière avez-vous accédé au poste de Directrice artistique ?

– François Landolt a d’abord découvert mon travail de metteure en scène lors de la création de KilomBo au Théâtre de Vidy. Il m’a alors engagée à plusieurs reprises en tant qu’intervenante aux Teintureries. Au moment du changement de direction pédagogique, il m’a proposé de reprendre le poste et j’ai peu à peu conçu une vision artistique dans laquelle s’inscrit le programme pédagogique actuel.

Quel est le rôle précis d’une directrice artistique au sein d’un lieu d’enseignement ?

– Garantir aux étudiants une formation solide et ouverte à la diversité des formes théâtrales, en permanente évolution. Il s’agit de leur transmettre une maîtrise des fondamentaux de l’acteur, c’est-à-dire la capacité d’utiliser leur corps, leur voix, leur énergie, leur intelligence dans la relation à l’espace, aux autres, aux événements. Il s’agit aussi de leur permettre de s’enraciner dans la richesse et la connaissance des textes, qu’ils puissent se réapproprier le terreau et la mémoire du théâtre comme on se réapproprie sa propre histoire pour la réinventer. Qui nous sommes, d’où nous venons, comment ce monde s’est construit et ce que nous pouvons lui apporter.

Dès le début de leur formation, les étudiants apprennent à articuler l’enseignement technique et l’émergence de leur expression propre, comprenant vite que l’une ne peut s’épanouir sans l’autre, et que la rencontre avec leur singularité passe par la rencontre avec l’autre, à savoir les auteurs, les différentes époques et pratiques, les autres cultures, les autres arts, la diversité des écritures et des courants de pensée, et, bien sûr, les autres étudiants avec lesquels ils travaillent au quotidien.

Avec quel esprit et quelles intentions avez-vous pris vos fonctions ?

– Avec une conscience joyeuse de la responsabilité qui m’incombait. Avec le sentiment d’être exactement au bon moment au bon endroit. Mon parcours de comédienne ainsi que mes expériences dans la mise en scène et l’enseignement m’ont amenée à ce point de rencontre. L’occasion m’était offerte de mettre en pratique une préoccupation qui m’a toujours habitée : comment offrir aux jeunes acteurs et actrices un espace qui les protège dans leur remise en question et les simule sur le plan de la recherche, de la création, de la réflexion. Je souhaite leur permettre d’acquérir les outils de leur propre discernement, aujourd’hui et demain, dans une constellation construite, progressive et choisie qui réunit des savoirs et des pratiques pluriels. Mon vœu est qu’ils puissent continuer par eux-mêmes à nourrir et approfondir leur passion au cœur d’une collectivité humaine.

Quel est votre “moteur”? 

– La vision d’un art nourri par la nécessité de faire bouger les lignes quant à notre impact et donc notre responsabilité d’humain dans notre relation à l’ensemble du vivant. Je parle bien sûr des mécanismes de nos sociétés, microcosmes et macrocosmes, mais aussi de nos interactions avec l’ensemble des êtres avec qui nous partageons la planète. Partage fort inégal, d’ailleurs ! Il s’agit de tenter, en transparence avec les étudiants, de remettre en question les valeurs qui nous imprègnent, celles d’un monde motivé par l’esprit de domination, de compétition, d’appropriation, d’accumulation et de prédation. Chacun d’entre nous peut, à sa mesure, repérer ces mécanismes que nous avons souvent intégrés sans nous en rendre compte et auxquels nous sommes assignés, pour reprendre un terme développé par la philosophe Vinciane Despret. Privilégier l’écoute, le respect des autres, de leur point de vue, dans une vision plus intégrative de soi-même. L’acte théâtral, le cinéma et l’écriture dramatique peuvent être un terrain précieux d’intégration de l’autre. Encore faut-il commencer par soi-même avec le plus d’honnêteté possible. En tant qu’être humain, je comprends que je suis potentiellement capable de tout. Le meilleur imaginable et le pire imaginable. Cette démarche, accepter de reprendre en soi toutes les versions de l’autre auxquelles je suis confrontée, est le meilleur rempart contre la barbarie. Elle donne également des clés de compréhensions des actions humaines. L’ennemi n’est pas seulement à l’extérieur, j’en porte moi-même le germe. Ma responsabilité est d’encourager ou non ce germe à se développer. En tant qu’acteur ou actrice, je dois le comprendre encore plus intimement, car à l’endroit du « jeu », l’autre, aussi monstrueux ou merveilleux soit-il, c’est moi. Vraiment moi, dans une partie inconnue, peut-être, de mon potentiel, un moi que je mets donc en jeu, que je déploie dans un désir de décryptage et de partage. Le travail du comédien ou de la comédienne est une enquête autant qu’une quête. Elle passe autant par soi que par les autres, guidée par une vision personnelle et une manière de faire unique à chacun et chacune.

Défendez-vous l’idée de l’acteur créateur? 

– Pour moi, la question de l’acteur créateur versus l’acteur interprète n’en est pas une. Elle me paraît dépassée par le clivage qu’elle induit. Tout clivage, pour moi, va à l’inverse de la nécessité d’intégration, justement. Concernant l’art du jeu, un « grand » acteur, une « grande » actrice, quels que soient sa formation et son parcours, fait ou vit la symbiose des deux. Un grand interprète, celui ou celle qui se saisit d’une partition, d’un texte, d’une demande précise d’un metteur en scène, investit une structure ou un paysage préexistants et, en leur redonnant souffle et chair par l’unicité de sa présence et de son vécu, crée ou « co-crée » une nouvelle proposition. Un acteur créateur, qui crée sa propre partition selon un projet donné, élabore peu à peu une structure ou un paysage qu’il doit pouvoir nourrir, reproduire, réinvestir ou rejouer, donc interpréter. Et à partir de quoi crée-t-il ? Quels repères, quels schémas, quels points de vue, quelles convictions, quels événements vont être à l’origine de sa démarche ?

En étant très schématique – et ce qui m’embarrasse dans cette question, c’est qu’elle peut mener à un schématisme – on pourrait dire que l’un commence par la structure pour aller vers la création, et l’autre par la création pour aller vers la structure. Mais à l’origine, il y a toujours une matrice. Cela peut être un texte, une idée, une relation de groupe, une envie de recherche, un désir d’expression, une peinture, une rencontre, un article, un auteur, tant de choses. L’une n’excluant pas les autres, d’ailleurs. Il peut aussi s’agir d’une performance, qui est encore un axe de travail différent, dont un acteur ou une actrice, qu’il ou elle soit créateur, créatrice ou interprète, peut s’emparer. Plusieurs chemins sont possibles, tout le temps, me semble-t-il. Pourquoi s’assigner à un seul, à une seule manière de faire ? Et surtout, pourquoi l’une serait plus valable que l’autre ? Ce qui me touche profondément, pour finir, et qui est pour moi la suprême « élégance » artistique, c’est quand la frontière entre les deux s’efface dans le jeu d’un comédien ou d’une comédienne, et qu’on ne distingue plus création et interprétation, à qui appartient quoi, qui crée avant, qui crée après. Tout s’entremêle pour faire naître une expérience unique à un moment unique. Je parle d’élégance parce que cela demande à l’acteur ou l’actrice d’abandonner deux postures de l’ordre d’une volonté mentale qui entravent le mouvement de création, justement : soit se cacher derrière une œuvre, soit « écraser » une œuvre (quelle qu’elle soit) derrière son intelligence ou son identité d’acteur. Montrer qu’on se soumet ou montrer qu’on domine sont les deux revers de la même incapacité et sûrement de la même peur, celle de se laisser travailler par la rencontre, le choc parfois, entre ce qu’on connaît et ce qu’on ignore. Pourtant, c’est de cette rencontre que peut émerger une nouvelle proposition. Rencontre et non clivage. On y accède par une grande ouverture et disponibilité de corps et d’esprit. C’est cette disponibilité que je demande aux étudiants des Teintureries.

Quelles qualités un.e aspirant.e.s comédien.ne.s doit-il.elle avoir selon vous?

– La passion du théâtre, le désir d’apprendre et la joie de découvrir, la souplesse physique et mentale, une forme d’endurance, un questionnement incessant sur ce qui constitue notre humanité. La prise de risque, oser quitter ce qu’on connaît de soi et qui nous rassure pour aller vers d’autres parties, inconnues, mal-aimées. La liberté d’être et de créer est un paradoxe. Il réunit une extrême honnêteté – reconnaître ce qu’on est – et une absolue audace – exprimer ce qu’on est -. Saisir ses failles et souffler dedans.

Qu’est-ce qui caractérise l’enseignement pratiqué aux Teintureries?

– Cet esprit-là. Honnêteté et audace. Ne pas avoir peur de notre héritage théâtral et artistique, de notre répertoire dramatique et littéraire en perpétuelle évolution, d’où nous venons et ce qui surgit. Concrètement, cela a une implication forte dans les choix artistiques et pédagogiques dans lesquels je m’engage. Les acteurs et actrices formés aux Teintureries savent s’emparer des grands textes classiques et contemporains, les analyser et les comprendre en profondeur puis les faire résonner avec leur vision, leur point de vue, y insuffler leur engagement et leur réalité d’être humain à travers leur savoir-faire d’acteur. Ils sont également solidement préparés au jeu devant la caméra. Ils savent également s’emparer des outils de l’improvisation, de la création de plateau, de l’autofiction, de la déconstruction, de l’enquête et du théâtre documenté. Je souhaite qu’ils sachent « tout faire », en tout cas qu’ils aient les capacités d’appréhender toute forme et toute demande. Et qu’ils soient ensuite libres de choisir et de développer leur propre manière d’être acteur et actrice. 

Est-ce que votre parcours d’actrice a joué un rôle important dans votre vision de l’enseignement?

– Sans aucun doute. Je prends appui sur mes expériences concrètes du plateau, que ce soit celles de l’actrice ou de la metteure en scène, sans oublier l’étudiante que j’étais avec ses besoins, ses réflexions, ses découvertes, ses observations. Je prends également appui sur ce que nous apprennent la sociologie, la philosophie, les enjeux du politique et de l’économique, le développement des sciences liées au vivant, à la psyché humaine, à notre lien à l’univers. En fait, j’essaie de développer une manière très concrète et donc pratique de former des comédiens et comédiennes, avec une attention permanente à l’évolution du monde, de la pensée, de nos comportements les uns envers les autres.

Quand vous proposez des travaux aux étudiants, s’agit-il d’exercices physiques ou d’un travail sur le texte, la narration ?

– Il s’agit de tout cela. J’ai pour objectif qu’ils puissent s’emparer de tout le potentiel qu’offre le théâtre et les arts de la scène dans leur évolution actuelle, en résonance avec leur propre potentiel, qu’il soit physique, vocal, spatial, relationnel, intellectuel, réflexif, psychique, créatif, bref, tout ce qui constitue leur « être sur scène » et qui peut être convoqué dans les pratiques scéniques actuelles et futures. Si vous regardez le planning de formation des Teintureries, vous verrez qu’il y a une forme d’articulation entre, d’une part, le travail sur le corps, le mouvement et l’engagement physique, puis sur la voix, le souffle et l’ancrage du texte qui vient concrétiser tout le travail de la pensée, de la dramaturgie et de l’étude du langage qui, à leur tour, ouvrent la porte au déploiement de l’imaginaire, à la puissance créatrice de chacun, elle-même encouragée dans des ateliers portés sur l’improvisation et l’écriture de plateau. Tout cela est nourri par les différentes expériences pratiques et réflexives rencontrées lors d’ateliers ou de laboratoires, avec des praticiens venant d’horizons très complémentaires, y compris celui du cinéma et de la performance.
La formation ne se fait donc pas de manière linéaire mais en forme de spirale ou de constellation, avec des jonctions entre certaines pratiques à l’occasion d’ateliers spécifiques (dramaturgie active, texte classique et écriture de plateau, cinéma et autofiction, acrobatie et anthropologie, pour vous donner quelques exemples précis). Mon projet est que les étudiants soient formés à une diversité de connaissances et de pratiques dont ils puissent appréhender les liens ou les antinomies de manière constructive, en gardant une vision ample de leur métier et du milieu dans lequel ils devront le pratiquer. Je souhaite qu’ils accèdent à une forme de maîtrise, d’esprit critique aussi, et de joie à continuer à apprendre au cours de leur cheminement professionnel.
 

Pouvez-vous nous parler des méthodes d’enseignement en usage aux Teintureries (cursus, type de cours, ateliers, professeurs, etc.) ?

– Impossible d’être exhaustive en quelques mots ou lignes ! Mais toutes les informations sur les cours en degrés 1, 2 et 3, sur les ateliers des différentes classes (actuelles et diplômées) ainsi que sur nos intervenants et enseignants réguliers sont sur le site www.teintureries.ch. Vous y trouverez également une présentation globale de l’école et de l’organisation du cursus sur trois ans.

Quels types de partenariat entretenez-vous (avec les autres écoles, les théâtres, etc.) ?

– Nous collaborons régulièrement avec le Département cinéma de l’Ecal sous forme d’ateliers conjoints et un projet avec l’école du TNB (Théâtre National de Bretagne) est en cours mais est remis en question par les conséquences de la pandémie actuelle. Ce qui est aussi le cas pour les collaborations qui impliquent les lieux culturels suivants avec qui nous sommes en lien. Nous avons un partenariat régulier avec le Théâtre de Vidy pour nos spectacles de fin d’études. Des cours de dramaturgie pour nos étudiants et ouverts au public ont été organisés par Eric Vautrin, dramaturge au Théâtre de Vidy. Nous collaborons avec l’Arsenic et Sévelin 36 qui sont nos proches voisins et qui nous accueillent volontiers pour des présentations d’ateliers et/ou des répétitions. Cela a aussi été le cas avec l’Oriental à Vevey. Nous avons travaillé en partenariat avec le Théâtre du Reflet à Vevey pour un projet de spectacle réunissant auteurs, élèves de différentes écoles et la Classe 2019 qui a également eu l’occasion de répéter et présenter son atelier de fin de deuxième année (sous la direction de Geneviève Pasquier et Nicolas Rossier) au Centre Dramatique des Osses à Fribourg.
Cette année, la Classe 2022 sera mise en scène par Jean-Baptiste Roybon pour son projet « Visages » qui sera présenté dans le cadre de sa résidence au TBB (Théâtre Benno Besson). Si possible, les spectacles de fin d’études donnent lieu à une tournée dans différents théâtres comme Le Grütli à Genève ou l’Espace Nuithonie à Fribourg.

Crédit: Etienne Malapert

Il y a chez ces jeunes gens la recherche d’une diversité et d’une pluralité, une gourmandise pour tout ce que recèle le théâtre dans toutes ses formes

Quels sont les désirs, rêves, des étudiants qui s’inscrivent aux Teintureries ? Là aussi, observe-t-on une évolution au fil des années ?

– Ce n’est pas facile de vous répondre de manière globale, chaque jeune acteur portant son propre rêve de théâtre… Ce que je peux vous dire, c’est qu’ils espèrent trouver aux Teintureries une formation sinon exhaustive en tout cas la plus étendue possible du métier d’acteur, ce qui correspond en effet à mon projet pédagogique.
Quand nous avons accueilli la Classe 2022, j’ai été frappée par le nombre d’étudiants qui voulaient renouer avec les textes, l’écriture classique et la connaissance du répertoire. Il y a chez ces jeunes gens la recherche d’une diversité et d’une pluralité, une gourmandise pour tout ce que recèle le théâtre dans toutes ses formes. Ils recherchent également un cadre sécurisant pour oser prendre des risques et développer leur potentiel artistique en confiance, une curiosité et un appétit pour dépasser leurs limites. Ils souhaitent trouver aux Teintureries un lieu pour se découvrir, faire groupe avec les autres, déployer leur talent en connivence avec leur classe, comprendre en le faisant ce qu’ils sont venus chercher, participer à la marche du monde, et devenir, finalement, un acteur ou une actrice magnifique.

Au-delà de la pratique du jeu, comment prépare-t-on les étudiants à la réalité du terrain ? Aux difficultés qu’ils peuvent rencontrer, notamment en tenant compte de l’exiguïté du territoire suisse romand ?

– C’est une question cruciale qui demanderait sûrement à être examinée de manière concertée entre les différents acteurs politiques et culturels. Des tentatives ont lieu dans ce sens car, les écoles de formation d’une part, les metteurs en scènes, directeurs de théâtre et agents culturels d’autre part, sont tous conscients de cette problématique, et les enjeux en sont complexes. Aux Teintureries, nous proposons aux étudiants sortants une formation conjointe en administration et sur les droits des comédiens. Elle s’articule sur une semaine intensive où plusieurs intervenants liés à la scène indépendante, aux grandes structures et au SSRS (Syndicat Suisse Romand du Spectacle) leur donnent les outils de compréhension de la réalité du milieu et une formation pratique pour leurs démarches artistiques et administratives à venir. Pour en avoir parlé avec les étudiants, nous savons que cette formation leur est très profitable.
Nous avons également développé le Fonds d’Aide à l’Insertion Professionnelle (F.A.I.P) afin de soutenir l’engagement de nos diplômés dans des projets professionnels. Nous recevons d’ailleurs beaucoup de demandes de structures très diverses. Mais bien sûr, cela ne résout pas l’aspect plus structurel ou systémique du problème que vous soulevez et qui aujourd’hui, suite à la fermeture des lieux publics, prend encore une toute autre tournure.

Pensez-vous que le désir d’être comédien.ne relève de la vocation? 

– Il semble que ce soit le cas. Quand je demande aux étudiants qui viennent d’entrer aux Teintureries ce qui les amène et pourquoi ils veulent être comédiens ou comédiennes, la réponse que je reçois le plus souvent est « qu’ils n’imaginent pas faire autre chose ». Une évidence s’impose à eux et les pousse à emprunter ce chemin. Sans cette « imposition », ce serait impossible.

Est-ce que vous ne regrettez pas d’avoir mis de côté votre propre pratique, comme comédienne et comme metteure en scène ? 

– Des regrets ? Non. Aucun regret. Bien au contraire. Ce que j’ai appris et vécu aux Teintureries est un savoir et une expérience immenses. Sur le plan artistique, sur la transmission – une mission qui appelle le dépassement de soi –, sur le plan humain et sur ma capacité à diriger une structure au niveau artistique et pédagogique en planifiant l’ensemble du cursus et le suivi des étudiants tout en conservant une intention artistique ouverte.
Un manque ? Oui. Le plateau me manque. Le rapport aux acteurs, la co-création avec eux me manque. L’espace physique, organique de la scène, le lien au public, à la répétition, l’âpreté et la douceur du jeu, tout cela me manque. Et j’aime ce manque parce qu’il me confirme que cet arrêt n’est que momentané. Il a toujours été évident pour moi que je reviendrai à la scène, à un moment donné. Je suis donc en train d’élaborer des projets de création qui, je le souhaite, pourront prochainement voir le jour. Et je les envisage tout à fait différemment car tout a changé autour de nous, et j’ai moi-même beaucoup évolué, notamment grâce à ces années de direction artistique aux Teintureries. En attendant de revenir à la scène, j’écris régulièrement, et plus régulièrement qu’auparavant. Cet arrêt est aussi l’occasion de développer cette autre passion qui, je l’espère, pourra participer à mes futurs projets.

De quelle manière la pandémie, qui va probablement s’inscrire dans la durée, induit-elle un changement dans la pratique même du métier de comédien.ne? Prenez-vous en compte ce changement dans l’enseignement prodigué aux Teintureries?

– C’est indéniable. Le changement s’impose par la force du virus. Nous devons tous en tenir compte. Ce qui fait, faisait une des spécificités de notre métier est prohibé. Se toucher, être ensemble, faire groupe, expérimenter la proximité, travailler le contact, tout cela est banni des répétitions. Même se parler est « dangereux ». Cela a et aura un énorme impact que je ne mesure pas encore. Et ce n’est pas terminé, car, comme vous le dites, cela est en train de s’inscrire dans une plus grande durée.
Oui, bien entendu, nous modifions nos pratiques et respectons les réglementations. Certains cours se donnent en visuel, nous apprivoisons et intégrons de nouvelles pratiques et technologies que nous n’envisagions même pas il y a quelques mois. Nous modifions la manière de donner les cours et exigeons les distances physiques et le port du masque. Nous annulons des cours et changeons le programme si nécessaire. Qu’allons-nous faire de tout cela ? Comment allons-nous être transformés de l’intérieur, surtout les jeunes gens en formation ? Le manque est là, la frustration est là. La peur aussi, pour certains, la défiance, pour d’autres. C’est une expérience collective qui ramène chacun à une solitude, à des questions intérieures qui nous travaillent profondément. Quelles seront les réponses ? Quel sens allons-nous donner, personnellement et collectivement, à cette réalité qui s’impose à nous ? Et comment les arts de la scène peuvent rebondir et intégrer une telle réalité ? Je l’ignore. C’est un vrai changement de paradigme car, jusqu’à présent, les arts de la scène pouvaient prétendre intégrer et traiter tous les phénomènes sociétaux, politiques, économiques, écologiques, etc. Or, aujourd’hui, c’est le risque de transmission du virus qui intègre et même « dés-intègre » les arts de la scène dans leur pratique usuelle. Le phénomène a quelque chose de vertigineux, une sorte de cataclysme invisible et silencieux. Et pourtant, je ressens profondément que nous aurons la capacité d’en faire quelque chose. Nous y sommes obligés, de toute façon. Mais le sentiment d’urgence ou d’inhibition est trop présent pour en déterminer précisément les contours. Cela va aussi dépendre de l’évolution et de la durée de la pandémie. J’ai le sentiment que ni le théâtre, ni les arts de la scène ne disparaitront. Ils devront certainement se transformer. Mais aujourd’hui comme dans l’avenir, nous avons plus que jamais besoin de récits communs, de partage d’idées, d’échanges de connaissances, de visions et décisions communes, de concertation, de réinvention. Je souhaite que les étudiants et étudiantes des Teintureries mais également des autres écoles des arts de la scène puissent imaginer et construire le théâtre dont nous allons avoir besoin. C’est également ce qui motive ma vision de la transmission et mes futurs projets de création.

Les Teintureries

Les Teintureries accueillent des étudiant.e.s en formation professionnelle à plein temps et sur une période de trois ans. Accessible sur concours, cette formation conduit à un diplôme attestant de la capacité des étudiant.e.s sortant.e.s à s’insérer dans le milieu professionnel.

L’école développe l’art d’être acteur.trice dans les différentes formes artistiques du théâtre d’aujourd’hui: interprétation des textes classiques et contemporains, écriture et création de plateau, théâtre documentaire, auto fiction, cinéma, théâtre avec vidéo en direct. Les Teintureries permettent en outre aux étudiant.e.s de tisser des liens fondateurs avec des personnalités majeures du milieu artistique et de développer leur propre réseau professionnel.

Infos: www.teintureries.ch

 

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L’acteur nous a quitté le 12 mai, à l’âge de 94 ans. En guise d’hommage, des extraits inédits d’un entretien accordé à Lionel Chiuch à l’occasion de la tournée de “Minetti”, de Thomas Bernhard.

“Il reste dans la culture une sorte de mépris de classe”

Après un septennat à la tête du GIFF, Emmanuel Cuénod s’apprête à en remettre les clés. Dans un long entretien sans langue de bois, il nous parle du festival genevois et donne quelques coups de griffe à la politique culturelle suisse.

Monica Budde, la voix libre

D’Andromaque de Racine au personnage de A de Sarah Kane, la comédienne Monica Budde campe des femmes qui, comme elle, ne s’en laissent pas conter. Portrait en toute liberté.

Braqueur de banques!

Alors que la saison 2 de « Quartier des banques » débarque sur les écrans, son réalisateur, Fulvio Bernasconi, nous parle de son rapport aux comédien(ne)s.

“L’avantage ici, c’est le Système D”

A la Chaux-de-Fonds, pays des merveilles mécaniques, on croise moins de lapin blanc que de drapeau noir. La comédienne Aurore Faivre brandit celui d’un théâtre qui ose et qui place l’humain au centre.

Gilles Tschudi: “C’est vrai, je ne connais pas de barrière”

Acteur puissant et subtil, Gilles Tschudi n’hésite pas à se mettre à nu, comme dans « Souterrainblues », mis en scène par Maya Bösch il y a près de dix ans au Grütli. Mais l’homme dévoile volontiers aussi ce qui « l’agit » et dresse ici une véritable métaphysique du jeu.

Théâtre des Osses, théâtre de chair

On prend les chemins de traverse jusqu’à Givisiez pour y rencontrer Geneviève Pasquier et Nicolas Rossier. Leur nouvelle saison regarde la planète en face.

Sarah Marcuse: Tribulations avignonnaises

En 2018, la comédienne et metteure en scène genevoise Sarah Marcuse s’est frottée au Festival Off. Elle en rapporte un témoignage fort que nous reproduisons ici avec son aimable autorisation.

Carole Epiney, névrosée à temps partiel

Elle était impeccable dans « Les névroses sexuelles de nos parents ». La valaisanne Carole Epiney affronte les aléas de la vie de comédienne romande avec une belle énergie.

Il y a plus de compagnies que de films

Critique à la Tribune de Genève, Pascal Gavillet est un habitué du cinéma suisse, dont il connait bien les mécanismes. On fait le point avec lui.