Serge Martin cultive l’esprit d’équipe
Pour celui qui a créé sa propre école à Genève il y a maintenant plus de 30 ans, le théâtre reste une histoire de partage.
Oskar Gomez Mata, Dorian Rossel, Dominique Ziegler, Sandrine Kuster… Et l’on pourrait continuer ainsi très longtemps. Tous sont passés par l’Ecole de théâtre Serge Martin. Et tous savent ce qu’ils lui doivent. Avant tout, d’être eux-mêmes dans un métier qui parfois incite au port du masque.
L’école créée par Serge Martin en 1986 est un lieu où l’on cherche. Quelque part quelque chose est atteignable, du moins peut en augurer l’existence. « Tendre vers » est l’ambition de l’apprentissage mis en place et de cette tension nait le possible d’un théâtre. A condition, bien entendu, de ne pas y aller seul. Car s’il y a un mot qui revient souvent dans les propos de Serge Martin, c’est bien celui d’ « équipe ». Soit, si l’on en croit Larousse, « un groupe de personnes travaillant à une même tâche ou unissant leurs efforts dans le même but ».
En trois décennies, avez-vous vu une évolution dans la situation des comédiens en Suisse romande?
Ce que je vois, c’est que pas mal de mes anciens élèves travaillent. Certains seuls, d’autres en équipe. D’ailleurs, je constate qu’il y a beaucoup d’équipes. Par exemple, ils en forment à la Manufacture, ce qui est relativement nouveau. Bon, ce travail, c’est un travail d’équipe. On fait tous des compagnies. Mais ce n’est pas le mot. Le mot c’est équipe: on s’associe et ensuite on reste ou non ensemble. C’est vrai que nous sommes dans une période du « moi, moi, moi », et c’est assez dingue parce que le théâtre c’est justement de jouer quelqu’un d’autre que soi. Le « c’est moi qui parle » est devenu presque aussi important, dans beaucoup de créations. Il y a beaucoup d’acteurs et beaucoup moins de personnages.
Et c’est là où ça se complique…
Je ne sais pas comment on fait. Je me dis toujours: quelle chance de travailler! Et durer, c’est une super chance. On peut réussir quelque chose et tout le monde vous acclame, et puis la fois d’après ça ne marche pas si bien… C’est la vie d’un artiste, d’une compagnie. On n’est pas toujours en train de créer des choses qui correspondent à tout le monde. Ce qui est intéressant, c’est de voir le parcours sur la durée.
Juger d’une carrière à l’aune du parcours plus qu’à celui de la réussite?
Quand on a fêté les 30 ans de l’école, j’ai demandé à chaque compagnie de parler de son parcours. Qu’est-ce qui se passe? Qu’est-ce que vous quêtez? Il y a une équipe ou quelqu’un qui évolue. C’est quand même cela le plus important. Pour en revenir aux compagnies, je crois que ce monde individualiste fait que, surtout au théâtre, on expérimente la liberté sur scène. Il n’y a pas d’abus de pouvoir – sinon, autant faire autre chose si c’est pour retrouver la pyramide hiérarchique, tous les vices qui font que les relations humaines vont mal. Au théâtre, on a la chance de pouvoir expérimenter autre chose, avec le partage – ça ne veut pas dire qu’on évite les conflits. Le moindre détail doit être authentique, véridique, ça signifie que toutes les différences doivent être acceptées. Il y a des défauts d’acteur mais pas de défauts humains. Les défauts d’acteur, c’est quand ça ne permet pas de toucher quelque chose de plus profond, de plus sensible. Mais l’humain, on le prend comme il est.
C’est justement parce qu’il y a de l’humain qu’il y a des doutes…
Forcément. Comment faire ce métier en attendant que ça sonne? Ce n’est pas possible. Et c’est le lot de beaucoup d’acteurs. Faire ce métier suspendu au téléphone ou en allant aux premières pour essayer de voir les directeurs, c’est quand même contraire à la pratique. La jalousie, les procès entre « théâtreux », c’est quand même assez contraire à la pratique. Daniel Vouillamoz a fait une pièce là-dessus (Un métier de rêve, 2017). C’était terrible, ces comédiens qui ne s’aimaient pas. Et certains, ensuite, m’ont dit qu’ils avaient vécu des choses comme cela.
Comment on fait pour maintenir la flamme?
Moi, ce qui me passionne avec l’âge, c’est de trouver comment travailler différemment. J’ai voulu inventer des aventures, que tu reproduits une fois au maximum. Tu ne peux pas toujours travailler de la même façon. On fait un spectacle parce que l’on ne sait pas. Par contre on est plein de richesses pour le faire et c’est cela qui donne la force. L’expérience réelle, ça ne peut pas être une sorte de reproduction exacte, ce n’est pas possible, il faut que quelque chose arrive. Et le besoin d’équipe, c’est sûrement pour contrebalancer l’égoïsme et l’isolement.
Il y a là une fraternité à réinventer?
Oui. Si on est cinq, on est imbattables. Si on est vraiment une équipe: c’est-à-dire des gens différents qui arrivent à s’associer et à trouver sans qu’il y ait une espèce de patron qui tient les autres en laisse. C’est comme la scène. Dans la vie, on ne peut pas être ami avec tout le monde, mais, sur le plateau, on peut travailler avec tout le monde. C’est ça qui est formidable.
Quand on dirige une école, on est confronté aux angoisses professionnelles des élèves?
L’équipe pédagogique n’engage pas à se demander: « oh la la, comment ça va se passer après? » Par contre, deux choses: en premier, on les incite à aller voir des spectacles. On les oblige un peu parce qu’il y a un cours de dramaturgie qui traite de ce qui se fait aujourd’hui. Et, deuxièmement, un administrateur vient et les informe sur les démarches à entreprendre, sur la manière dont ça se passe en Suisse romande.
On peut vivre de son art en restant en Suisse romande?
Il y en a peu qui en vivent. Certains, par contre, n’arrêtent pas de travailler. D’autres ont une activités parallèle, ils donnent notamment des cours. Il y a ceux qui tournent: pour vivre de ce métier, on ne peut pas travailler un mois et demi-deux mois et jouer un mois, ce qui fait trois mois dans l’année. Donc, il faut tourner, travailler avec différentes compagnies, et alors on y arrive, et pour les trous il y a le chômage. Certains ont la chance d’avoir un pied en France, au sens où c’est un pays plus grand, parce qu’ici il y a énormément de valeurs, c’est tellement concentré, c’est incroyable. Mais même en France le nombre de représentations a diminué…
C’est un peu la peau de chagrin…
Oui, si tu n’as pas une structure pour tourner, c’est difficile. Quand je suis arrivé, il n’y avait rien: aujourd’hui, au moins, il y a la Corodis.
On sent que des efforts sont consentis en faveur de la diffusion.
Oui mais, à la Comédie, il n’y a pas de structure de diffusion. Pas encore. Il y a Vidy comme grosse structure et c’est tout. Tous ceux qui tournent sont passés par Vidy qui les a aidé, et ensuite ils ont pris le relai. Parce qu’il faut prendre le relai, sinon ça tombe. Il faut des pros, qui connaissent. Alors, oui, il y a cette volonté de proposer des compagnies suisses à Avignon. Mais quand on voit le nombre de choses intéressantes qu’il serait tout de même important de partager, on se rend compte que peu ont droit à une seconde vie. Il n’y a personne ici pour s’occuper de trois ou quatre compagnies et pour les diffuser dans toute la francophonie.
Il y a aussi une dimension économique: faire tourner une compagnie suisse coûte cher.
Justement, il faut que les villes donnent un coup de main. Moi, pour les aventures, j’embarquais beaucoup de monde exprès. Mais après, c’est sûr, on ne tourne pas! C’est un peu timide la façon dont on s’occupe des artistes suisses. Les Belges, eux, ont fait un effort considérable: on les connait maintenant. C’est toujours pareil, il faut qu’il y ait des gens qui s’y intéressent. Je me souviens quand j’étais dans l’institution au jeune Théâtre National, j’ai assisté à des réunions avec d’autres directeurs: ils sont une petite vingtaine et ils font la pluie et le beau temps. Je monte ça, je prends ça. Forcément, ça marche ainsi, et ici aussi. Si deux-trois théâtres prennent un spectacle, les autres s’y intéressent. C’est normal, c’est comme la famille. C’est pourquoi c’est dommage que la Suisse ne promeut pas plus de spectacles.
En France il y a beaucoup d’initiatives de ce type. Ici, on a toujours le sentiment que c’est plus compliqué.
S’il y avait un organisme soutenu par l’Etat, avec des responsables qui vont voir les spectacles et qu’ensuite quelqu’un s’occupe de les promouvoir, quand même, ça ne coûterait pas des cents et des milles. Il faut un bureau et une personne qui va voir les spectacles pour ensuite les vendre. Ce qui manque, c’est ça: parce que le talent, il y en a. Et aussi, il y a une mixité, un mélange: c’est très riche. Et puis, un acteur, s’il joue peu, il ne peut pas s’améliorer. C’est en se frottant à différentes personnalités que tu évolues. Tu ne peux pas progresser si tu travailles peu.
Il faut se construire au contact de l’autre.
Oui, je trouve que l’on fait quelquefois du théâtre selfie. C’est quelque chose que l’on observe depuis au moins deux décennies. Même les performances, c’est super, mais il y a dedans une partie qui est liée à la personne, c’est sa vie qui est en jeu.
L’évolution des formes, justement, est-ce qu’elle se double d’une évolution au niveau des débouchés?
Si on fait ce métier, c’est qu’on est passionnément engagé. On ne le ferait pas, sinon. C’est difficile, on n’est pas sûr de l’emploi – bon, on n’est plus les seuls! Il faut des subventions, des lieux qui nous accueillent: on est complètement dépendants. Alors, quand on dit « les indépendants », tu parles! Donc, si on fait ce métier, c’est qu’il y a un vrai désir, une volonté, et ensuite il faut durer.
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Elle était impeccable dans « Les névroses sexuelles de nos parents ». La valaisanne Carole Epiney affronte les aléas de la vie de comédienne romande avec une belle énergie.
On ne peut pas être aimé par tout le monde
Difficile, l’exercice du casting? Pour comedien.ch, Nathalie Chéron, trente ans à chercher la perle rare, livre quelques « trucs » pour faire baisser la pression.
Il y a plus de compagnies que de films
Critique à la Tribune de Genève, Pascal Gavillet est un habitué du cinéma suisse, dont il connait bien les mécanismes. On fait le point avec lui.