Arblinda Dauti,

la perle noire

TRAVERSÉE EN SOLITAIRE (V) Le confinement aura été l’occasion pour Laure Hirsig de questionner comédiennes et comédiens sur la solitude, ses charmes comme sa nocivité, dans leur parcours et leur pratique. 

« Laissez-moi seule », voilà l’imperceptible vœu murmuré en quittant la salle où Sœurs vient de se jouer. Difficile de sortir du champ de bataille, la poitrine encore béante et le cœur à vif. Une décompression en solitaire serait nécessaires pour s’en extraire. Pour l’instant, je suis la moquette qui compte les pas, avale les cris et amortit les chutes. Je suis un mouchoir qui boit des larmes, une chaise que l’on lance comme on tue. Je suis un projecteur déboussolé, qui oscille du froid au chaud, incapable de trancher, déchiré lui aussi.

Quand Nastassja déboule chargée à bloc, les muscles bandés sous le perfecto, la mâchoire volontaire, on la sent prête à mordre son aînée. Arblinda – que je vois, Hallelujah, pour la première fois – surgit telle une épiphanie. Elle apparaît surplombante et diaphane, le regard azuré sous une chevelure de jais, pour fendre l’espace en fouettant sa cadette à chaque réplique. Jetez de la porcelaine contre de l’ambre, et voyez laquelle des deux se brise en premier… Aucune. Elles supportent les fêlures, mais ne cèdent pas.

Le duo – plutôt duel d’Elles – tape là où ça saigne déjà : dans le mou, pas dans le dur. La mise à mort est symbolique, ce qui n’ôte rien à sa cruauté. Terrifiée par l’écroulement de l’autre autant que par sa hargne, chacune se voit soumise à une fruste fatalité : tuer sa sœur est un suicide. L’incurable dépendance des liens viscéraux unit celles qui partagèrent la même matrice. Pourtant ce sont les parents hypocrites qui arment les filles les unes contre les autres. Ce sont eux qui creusent des fosses pas communes aux fruits de leurs entrailles pourries, coup de griffe après coup de griffe, excitant discrètement blessures et vexations. Alors, la vie joue sa revanche sur l’enfance. Dans un grand tour de bluff, un déterminisme haineux abat ses cartes, assommant les enfants au passage. Les vocations ne sont que réactions ; il faut sauver le monde ou le commenter ? Se pencher sur l’essentiel ou le superficiel ? Sur la réalité des autres ou sur leur imaginaire ? Être ancrée dans le monde, ou dans un milieu ? L’une et l’autre ne se définissent que dans la dualité.

Le fantôme d’Arblinda m’a poursuivie avec l’insistance qui inspire les rencontres. Au cours de notre entretien, ce diamant brut qui avait éclaboussé la tragédie contemporaine de sa verve tranchante, se confie en toute simplicité sur son parcours éclectique et ses expériences tragi-comiques.

(crédit photo page d’accueil : Elisa Murcia-Artengo.)

Copyright : Elisa Murcia-Artengo

Votre choix professionnel fait-il de vous un « martien» aux yeux de votre entourage, ou s’inscrit-il dans une logique de milieu, voire une tradition familiale ?

Dans ma famille, l’Art – que ce soit la musique, la littérature, le théâtre, le cinéma – est salvateur. Je suis Suisse mais aussi Albanaise, du Kosovo et de Macédoine. Durant mon enfance, j’ai baigné dans un climat ou l’on parlait de guerre, d’épuration ethnique et de génocide. Ma famille a toujours utilisé l’Art comme une arme.

Si je suis devenue comédienne, c’est par accident de parcours, pas par vocation. Je voulais faire sciences po, étudier les relations internationales, le droit, les lettres et la médecine. Mais il m’a fallu faire un choix. Seul le théâtre – qui permet de toucher à tout et de parler de tout – a comblé l’intégralité de mes envies. Par ailleurs, il se profile comme une arme poétique, en écho à mon parcours familial. La tragédie offre de troublants parallèles avec l’histoire contemporaine et parfois personnelle.

Pratiquer le théâtre ne fait pas de moi une martienne ; c’est ma manière de poursuivre une tradition de résilience, de résistance et d’existence à travers l’Art. D’autres membres de ma famille en font, certains écrivent ou jouent de la musique.

Je comprends les choses de manière immédiate, physique et naturelle dans ma langue natale. En français, je dois ramener la langue au corps. Lorsque je parle albanais, ma voix descend dans les graves, alors qu’en français, j’ai une voix de tête, plus réfléchie. Elidan Arzoni et un autre metteur en scène de Paris m’ont tous deux amené à travailler en français dans les tessitures jusqu’alors réservées à l’albanais. Mon jeu devient alors plus viscéral.

Le statut de comédien isole du fonctionnement classique de la société. Aimez-vous ou souffrez-vous de cette différence ? 

– Ce statut m’offre la liberté de travailler selon d’autres horaires que ceux auxquels sont soumis la plupart des gens autour de moi. Je le considère donc comme un luxe. Je peux m’organiser pour assister aux fêtes et aux événements familiaux et lorsque cela m’est impossible, mon entourage le comprend.

Comment menez-vous la part de travail préparatoire à pratiquer seule avant les répétitions? En duo avec Nastassja Tanner dans “Sœurs” de Pascal Rambert, mise en scène par Elidan Arzoni, vos individualités semblaient se télescoper.

Cette expérience fut extra-ordinaire dans le sens où je n’avais jamais travaillé comme ça ! La première étape, l’apprentissage du texte, m’a confrontée à la solitude de l’incertitude. Suis-je capable d’apprendre tout ça ? Seule avec mon texte, j’avais peur de ne pas parvenir à intégrer de tels pavés. Et… tout à coup, ça rentre, comme une surprise qu’on se fait à soi même.

La deuxième étape de préparation physique m’a mise face à d’autres faiblesses. Pour être prêtes, Elidan nous a soumises à un entraînement sportif. La troisième étape de travail avec le metteur en scène a brisé cette solitude. Nous discutions, il m’aidait à comprendre les subtilités du texte et les parallèles possibles avec ma vie ou avec ce que je connais du monde. Une fois tout ce paysage installé, j’ai travaillé seule avec lui trois semaines durant.

La première fois que Nastassja et moi nous sommes rencontrées – en dehors de l’audition – nous avons directement fait un filage! Le retranchement et les conversations avec Elidan m’ont permis d’être immédiatement avec elle, même si pendant toute la pièce, je suis contre elle. Le spectacle s’est construit ensemble. L’unique indication d’action reçue concernait les chaises de la scénographie, que je devais mettre droites les unes par rapport aux autres. Mis à part cela, nous étions libres dans nos déplacements. Je pouvais aller où je voulais, envoyer mes répliques quand je le souhaitais et conservais une absolue liberté quant au caractère de mon personnage. Cela nous a amenées à énormément nous écouter Nastassja et moi. Je n’étais pas seule avec ma partition, ni elle avec la sienne : nous étions deux. Si nous sommes arrivées si loin dans nos émotions, c’est parce que nous nous nourrissions l’une de l’autre. Nos peines aussi étaient partagées. Chaque jour, nous nous disions le texte entièrement. La première fois nous a plongées dans un état de choc. Nous essayions de ne pas laisser cette pièce trop impacter nos vies personnelles. Certains soirs, nous continuions à pleurer, fébriles, à fleur de peau, saisies d’une réelle difficulté à nous reprendre.

Le texte, très intrusif, nous a apporté une énorme satisfaction d’actrices : pouvoir dire ces choses-là, indicibles. Je n’ai pas de sœur et n’ai jamais voulu balancer de telles horreurs à quiconque mais c’est exaltant, et paradoxalement réjouissant. La langue de Rambert construit une pensée. Dire ses mots, les cracher ou les murmurer, est agréable mécaniquement, physiquement et mentalement, même s’ils sont destructeurs.

Il y a énormément d’amour dans ce conflit : nous étions d’accord de ne pas être d’accord. En tant que collègues et femmes, au-delà du texte, nous éprouvons un immense respect l’une pour l’autre. Après avoir joué, nous parlions d’autre chose, comme si la haine charriée par le texte n’avait plus lieu d’être. L’amour existait là aussi ; en dehors de la scène.

La première fois que j’ai vu Nastassja, j’ai pleuré : elle passait l’audition avec une autre comédienne et m’a totalement prise aux tripes. Par un heureux concours de circonstances, Elidan nous a demandé de repasser toutes les deux. Quel bonheur de pouvoir être face à elle, je la trouvais tellement formidable. Une même émotion m’a saisie. Ensuite, dès le début des répétitions, je me suis laissée embarquer par cette comédienne que je ne connaissais pas du tout. Jusqu’à la fin, à chaque fois qu’elle faisait sa tirade, j’étais remuée.

Merci à Elidan d’avoir mené ces auditions. Elles manquent malheureusement en Suisse romande. Même si l’exercice est éprouvant, même s’il est douloureux de recevoir un “Non”, seuls les castings permettent de rencontrer les personnalités de chacun et de les faire ressortir sur le plateau, en lâchant la dimension intellectuelle. Inconnue au bataillon en Suisse, cette audition s’est révélée une extraordinaire chance pour moi.

On dit que le théâtre est l’art du collectif par excellence, quelle part de solitude vous réserve-t- il ?

Cette question résonne particulièrement avec une comédie où nous étions sept sur le plateau : Toc Toc, écrite et mise en scène par Laurent Baffie. Le boulevard, ça va vite ! Les personnalités sont fortes, tant au niveau des personnages que des interprètes. Nous jouions sur un tout petit plateau, chaque geste était donc millimétré, pour ne pas empiéter sur l’espace des autres. Au début, nous avons dû mener un travail purement mécanique et artisanal. Ce style de théâtre s’apparente à la musique. Chaque instrument doit être à sa place, accordé à la bonne hauteur, et intervenir au bon moment pour exécuter la partition dirigée par le chef d’orchestre ; ici un metteur en scène. Cette étape du travail réserve des moments de solitude lorsque tu doutes sur un placement, mais on s’entraide : un petit coup de coude aide à rectifier le tir. Une fois que les mouvements et les intentions deviennent naturels, arrivent la liberté de jouer et le plaisir intense de voir les autres jouer. Un régal. Là, je ne me sentais plus du tout seule.

Ce travail s’oppose-t-il à celui mené avec Elidan en Suisse ?

Étonnamment, je leur trouve des similitudes. Elidan met l’accent sur les intentions de jeu et la vérité du moment. Dans la comédie et le boulevard, tu ne peux pas te permettre de fabriquer non plus, sinon tu te décales par rapport aux autres. Il faut s’ancrer dans l’instant présent. Par ailleurs, la précision d’horloger du boulevard se retrouve dans le travail d’orfèvre mené avec Elidan sur le texte. Certes, je décidais librement quand prendre la parole et où me placer, mais je savais exactement avec quelle intention je devais dire et me déplacer.

En revanche, dans Soeurs je pouvais bouger instinctivement pendant que ma partenaire parlait, et ce, sans la parasiter ; impensable dans un boulevard joué à sept comédiens compressés sur un petit plateau. Avec plus de septante représentations, nous connaissions toutes les répliques par cœur, ainsi que nos parcours respectifs. Nous nous permettions – ce n’est pas bien, je sais – de petits cabotinages. J’ai le souvenir d’un fou rire entre nous, qui s’est rapidement transformé en fou rire général, à trois cents personnes. Ces moments de bonheur absolu arrivent essentiellement dans le boulevard ou la comédie.

Une pièce comme Sœurs instaure un rapport plus complexe avec le public. Le passage sur les migrants me terrifiait. Je me souviens de la première couche de travail sur ce monologue, destinée à poser les intentions de jeu. Après deux phrases, je n’y arrivais déjà plus émotionnellement. J’ai commencé à courir dans l’espace, puis me suis mise à pleurer. Les images sont tellement vraies. Cette réalité, que j’ai pu voir à différentes reprises, est tellement violente. Tout comme les moments de bonheur, le théâtre réserve des moments où l’on est tragiquement, complètement soi. Même maintenant, en y pensant, j’ai les larmes aux yeux.

Quelle part de l’art théâtral est réalisée pour soi, comme nécessité personnelle ? Quelle part pour les autres dans ce rapport direct au public (dimension sociale, citoyenne, politique) ?

– J’ai étudié le théâtre au Cours Florent à Paris, où circulent beaucoup d’a priori. Quand j’ai été catapultée dans le boulevard, ma première réaction à la lecture du texte a été de dire « non, je peux pas assumer ça, c’est trop léger », mais j’avais besoin de travailler alors je me suis lancée. Heureusement, car j’ai été dirigée par un homme merveilleux humainement, Roger Louret, qui a mis en scène Muriel Robin ou Élie Semoun, entre autres ; ce genre de têtes-là. Mon rôle de bobo parisienne naïve ne m’a pas enrichie personnellement, ni permis de défendre des valeurs profondes, mais, à la Première, le premier rire m’a percutée comme une claque en plein visage ! Les gens riaient de plus en plus. Je n’en revenais pas que cela marche. Même si je trouvais mes partenaires hilarants, j’avais la sensation que cela ne suffirait pas à faire un bon spectacle. Aux saluts, le public s’est levé et nous a remerciés. Ce jour-là, j’ai pensé : « Il ne faut pas envisager le théâtre juste comme un acte de résilience, il peut aussi faire du bien aux gens. Si tu décides de casser le quatrième mur, alors vas-y, défonce-le! ». Le théâtre peut aussi procurer du plaisir, comme une respiration, un divertissement. En cela, je trouve le boulevard plus généreux que le théâtre sérieux qui prétend faire réfléchir, ambitionne des approches révolutionnaires ou artistiques, mais oublie de se connecter aux gens. J’ai découvert le boulevard et ses codes à Paris. À Genève, très peu de théâtres en proposent ; et je trouve qu’il y a une rivalité entre les genres. Pourtant, nous sommes tous des gens du théâtre et faisons plus ou moins le même métier que l’on soit comédien, metteur en scène, écrivain peu importe : on n’est pas là juste pour soi, mais pour le public aussi. La covid-19 amplifie la cruauté de nos sociétés en nous confrontant à nous-mêmes d’abord, mais aussi à tous ces oubliés que nous feignons de ne pas voir en temps normal. Le théâtre devrait permettre de se rassembler pour rire ou pleurer. Vivre des émotions simples et se détendre ensemble a des vertus concrètes. Cela aide à éradiquer les tensions au sein des familles, au travail. Je trouverais bien qu’en Suisse romande, les programmations proposent aussi des pièces légères. La plupart des spectacles d’humour à l’affiche en Suisse romande sont des one man ou one woman show. Du coup, on oublie que le théâtre est aussi une collectivité, que jouer et faire rire à plusieurs peut produire du magique.

Dans la dernière partie de Sœurs, après la partie qui aborde la condition des migrants, je me mets face public et l’invective : « Levez-vous ! Levez-vous de vos putains de sièges, putain vous dormez ! ». Certains soirs, des spectateurs quittaient la salle, ce qui me perturbait d’autant plus qu’il restait le monologue de fin de Nastassja. J’avais envie de dire aux gens qui se dirigeaient vers la sortie : « je suis désolée de vous voir partir avec ce que je suis en train de dire, mais je vais devoir aller au bout pour les autres spectateurs, et pour le texte ». Les visions de corps souffrants, la dimension moralisatrice de mon discours, insupportaient certaines personnes. C’est là que je me suis rendue compte de la proximité avec les spectateurs. Face public, je percevais les regards des quatre ou cinq premiers rangs. Certains acquiesçaient, d’autres se fermaient, bras croisés. Peu importe, l’auteur et le metteur en en scène avaient instauré un rapport entre la parole théâtrale et son auditoire que je devais tenir. Ce passage était difficile à jouer pour moi parce que dans la vie, je suis plutôt diplomate et estime que chacun agit selon sa propre conscience. Devoir pointer du doigt « Lève toi !» me coûtait et je peux comprendre les pensées qui traversaient le public sous de telles injonctions.

Cette sensation me rappelle Incendies de Wajdi Mouawad, qui nous fait entendre et réaliser des choses terribles, puis nous renvoie à la vie normale. Avec Sœurs, je craignais que le théâtre suffise à donner bonne conscience aux spectateurs, sans changer nos actes dans le réel. Libre à chacun de se réveiller sur la situation universelle des problématiques migratoires, bien sûr, mais si le théâtre était plus accessible au grand public, il serait plus efficace politiquement. Ce sont rarement les personnes qui ont besoin d’entendre ce genre de discours qui viennent au théâtre. Nous prêchons des convaincus. Le cinéma, plus populaire, s’adresse à un plus large spectre.

Faites-vous du cinéma? 

Oui, depuis peu. Je viens de tourner pour un long métrage indépendant. Le cinéma induit un autre rapport au jeu et aux autres puisqu’il n’y a pas de public. On dit qu’il faut jouer pour la caméra, moi, je joue pour l’ingénieur son, pour la technique.

Ce film fait alterner des scènes de la vie quotidienne et des monologues face caméra : l’angoisse. Je me suis conditionnée grâce au théâtre : « Imagine toi sur un plateau ; tu joues ton monologue d’un coup ». En une prise, c’était plié. Le réalisateur m’a expliqué ce qu’il attendait de moi en me laissant une grande liberté de jeu. Une fois que j’avais gagné en confiance, j’ai cessé de prendre ses interventions comme des jugements pour les considérer simplement comme des conseils de travail.

J’ai adoré le tournage en équipe, les rapports humains, la déconnade en dehors des prises. Toutefois, être sur scène au théâtre procure un plaisir unique, qui donne la chair de poule. Le cinéma me semble plus égocentrique, mais je serais heureuse s’il offre une plus large portée publique. Pour l’instant, je n’en sais rien car le film n’est pas encore sorti. Je croise les doigts pour qu’il soit diffusé. À présent, j’ai très peur de découvrir mon image. S’agissant d’une première expérience cinématographique, je nourris beaucoup d’appréhensions.

Il ne faut pas envisager le théâtre juste comme un acte de résilience, il peut aussi faire du bien aux gens. Si tu décides de casser le quatrième mur, alors vas-y, défonce-le!” 

” La question de l’ego me renvoie à #metoo

Quel rôle joue l’ego dans votre pratique ? Est-ce un guide ou un traître?

– Sacrée question. Dans ma vie personnelle, mon ego et ma fierté me posent parfois des problèmes (rires). Dans ma vie professionnelle, si l’atmosphère est régie par la bienveillance, la confiance et le respect ; mon ego disparaît car je comprends pourquoi je fais les choses.

Je n’aime pas la brutalité dans le travail. J’ai un problème avec l’autorité. Si l’on essaye de me rabaisser… ça m’est arrivé (temps)… « Arblinda, contente-toi d’être jolie et arrête de réfléchir ; ça ne te va pas! » Un prof m’a dit ça un jour… J’étais sur le plateau, je travaillais une scène, je me suis décomposée… suis sortie. Je n’arrivais même pas à pleurer. Rien. Dans ma tête ça tournait « j’aurais dû répondre ça et ça !», mais sur le moment, je n’ai pas pu…

J’ai remarquée que ce sont les metteurs en scène doués – ceux qui rencontrent le succès dans leur vie, ceux que l’on reconnaît artistiquement – qui se comportent humblement et respectueusement avec leurs équipes. Les metteurs en scène en manque d’assurance reportent doutes, peur et frustration, sur les comédiens, en laissant croire que ce sont les interprètes qui dysfonctionnent. C’est typique.

La question de l’ego me renvoie au mouvement #metoo. J’entends souvent : « Ce doit être dur dans ton métier ». Un sous-entendu qui, à mon sens, victimise les femmes plus qu’il ne les protège. Toutes seraient les proies d’hommes de théâtre ultra-puissants. Après la remarque déplacée de ce prof au Cours Florent, chaque fois que l’on a essayé de prendre le dessus sur moi, s’il fallait démissionner pour que cela cesse, je partais, refusant épidermiquement d’entrer dans ce jeu de domination. Comble de l’absurde, j’ai été confrontée au harcèlement en plein pic du mouvement #metoo. J’ai refusé les propositions : j’ai été virée. Il a ensuite fallu changer de ville, quasiment de vie, en une semaine. Là, l’ego n’est pas une attaque mais une défense et en prenant le dessus, il m’a sauvée. Je me souviens avoir appelé mon père, avec l’envie rageuse de prendre les armes et d’aller au front. Il m’a calmée en quelques mots : « Tu te mets dans tous tes états pour rien. Oui, cela t’est arrivé comme il est arrivé bien pire à d’autres femmes. Tu as été renvoyée ? Tu rentres ; tu auras un toit et à manger. Ne t’inquiète pas. Et tu te reconstruiras une carrière ». Point. J’ai raccroché et immédiatement cessé de pleurer. J’ai arrêté d’y penser et me suis promise de ne plus jamais me laisser faire. Depuis, je me sens moins fragile.

Je ne ressens pas pour autant le besoin de militer à ce sujet. J’ai envie d’être activiste ailleurs, de me battre différemment. C’est ma façon d’être résiliente par rapport à ce genre d’actes ; gagner en autonomie pour ne plus attendre que l’on me donne du travail. Ces mauvaises expériences m’auront servi à ça. J’admire les femmes directrices de théâtre, productrices de spectacles ou de films, réalisatrices, metteures en scène. Elles décident de prendre le pouvoir et de juste travailler, sans se limiter. Néanmoins, dans ma tête et dans la conscience collective, la comédienne reste cet être charmant, gentil, qui fonctionne dans la séduction. Or, les comédiens.iennes ne sont pas des poupées avec lesquelles on peut faire n’importe quoi. Bien sûr, il arrive de tomber amoureux, bien sûr il peut y avoir des tentatives, mais si la personne dit “Non”, il ne faut pas la punir ! Prôner la liberté sexuelle, le débridage du corps, je suis désolée mais cela se vit dans la sphère intime, pas dans le cercle professionnel.

Mais à part ça, je suis sympa… (sourire).

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Sarah Marcuse: Tribulations avignonnaises

En 2018, la comédienne et metteure en scène genevoise Sarah Marcuse s’est frottée au Festival Off. Elle en rapporte un témoignage fort que nous reproduisons ici avec son aimable autorisation.

Carole Epiney, névrosée à temps partiel

Elle était impeccable dans « Les névroses sexuelles de nos parents ». La valaisanne Carole Epiney affronte les aléas de la vie de comédienne romande avec une belle énergie.

Il y a plus de compagnies que de films

Critique à la Tribune de Genève, Pascal Gavillet est un habitué du cinéma suisse, dont il connait bien les mécanismes. On fait le point avec lui.