Le théâtre dans la peau – Acte 2

(IN)CARNATIONS est un feuilleton qui donne la parole autrement à celles et ceux dont la voix publique s’est tue un vendredi 13. Une série de portraits “épidermiques” signée Laure Hirsig.

Confinement et mesures-barrière excluent tout rassemblement et toute proximité: deux conditions sans lesquelles le théâtre n’a pas lieu.

Ni une, ni deux, on assiste à une fulgurante levée de bouclier anti-viral à grands coups de lectures skypées, de pièces de chambre, de matchs d’impro en split-screen, de rediffusions de spectacles. Bref, un déballage massif d’initiatives créatives fuse sur la toile.

Pendant ce temps, j’entonne le suppliant refrain de Dominique A « Qu’est ce que tu n’ferais pas Pour la peau ? ». La peau du théâtre me manque. Notre unité de temps, de lieu et d’action me manque. L’inclination à nous approcher les uns des autres pour nous faire face me semble une disposition naturelle. Rien ne remplace l’expérience d’être là quand l’acteur produit l’acte théâtral sans filtre, sans écran, sans intermédiaire ; juste sa peau ou celle du personnage dans laquelle il se sera glissé.

Membrane délicieuse qui nous délimite, la peau pourtant respire. Elle nous sépare et nous relie. Baromètre de nos émois, de nos hargnes et de nos troubles, elle trahit ce qui ne reste pas sagement dedans. Alors les joues rosissent, la sueur perle, les larmes coulent, les chairs se hérissent, les veines se gonflent, les postillons fusent. Ce florilège de manifestations physiques involontaires teinte d’humanité et de sensualité l’interprétation de l’acteur. À son tour, le public frémit, salive et tremble sous les salves du jeu.

Les présences singulières ou la qualité d’abandon de certains comédiens déclenchent en moi d’irrépressibles bouleversements. Je pars sonder celles et ceux, dont la sensibilité à fleur de peau me contamine à chacune de leur apparition. Est-ce que la peau du plateau leur manque aussi ?

Crédit: LDD – Efes  Kitap- Pixabay

Valérie Liengme

La créature

Avec sa bouille de minette, sa gouaille de fripouille et son sex-appeal de diablesse, Valérie Liengme flirte autant avec la vamp qu’avec le clown. Cette petite fille rieuse aux cheveux gris n’a pas d’âge et ne laisse jamais son style au vestiaire. Elle vole, sans complexe ni circonvolution, la vedette au personnage, pour notre plus grande joie. Elle est cette créature dont la souplesse d’interprétation déroutante, se cherche et se patine à chaque rôle.

Actrice concrète et incarnée, elle cache une mine métaphysique sous son prosaïsme ; une gourmandise de pensée insatiable, qui révèle son brûlant désir de donner du sens à ses engagements. Visite virtuelle dans la cuisine – métamorphosée en atelier – de celle qui pose un regard amusé sur le quotidien, non sans causticité.

 

Est-ce que le théâtre vous manque ?

Oui, il me manque d’autant plus que nous étions censés jouer le 16 mars. Ce devait être la Première d’Une demande en mariage de Tchekhov, une création Midi, théâtre. C’est une sensation étrange de devoir interrompre un spectacle. Tout à coup, il y a un trou, un vide.

Répéter ne suffit pas, il faut pouvoir jouer ; l’aboutissement d’un projet théâtral est la rencontre avec le public. Tout tend vers cette rencontre. Nous en prenons d’autant plus conscience quand ça nous est enlevé. C’est comme une désillusion amoureuse. Il nous manque l’Autre. On a fantasmé tout ça dans son coin, dans la perspective de le montrer à quelqu’un à un moment précis et tout s’arrête brutalement. Nous partageons tous cette interruption, y compris dans nos vies de tous les jours. En tant que comédienne, le jeu me manque, dans le sens premier du terme, c’est-à-dire l’amusement. À cause du confinement, je n’ai plus de partenaires de jeu ; s’amuser tout seul, c’est moins drôle. Ils me manquent mes amis. Le théâtre comme lieu de rencontre me manque aussi, être spectatrice. Bien sûr, j’aime toutes sortes d’arts ; je regarde des films, le travail de plasticiens, des vidéos, j’écoute la radio, de la musique, je lis mais actuellement je n’ai pas accès aux arts vivants. Je me dis : « Super, Vidy met en ligne des captations de spectacles ! ». Eh bien, je n’arrive pas à les regarder… Comme remplacement, cela me déprime énormément.

Voir une pièce, un film, écouter un concert entourée d’autres personnes, me manquent. Les gens me manquent ; pas forcément pour discuter avec eux après, juste être ensemble et partager une expérience artistique en temps réel. J’allais souvent au théâtre, quand j’étais dans la vie, quand je pouvais sortir de chez moi, maintenant je me dis que parfois j’étais dans la consommation. Il y avait tellement d’offres. Ces derniers jours, j’ai compris que cet arrêt met mon manque en exergue. Je retrouve une sensation de l’enfance. Quand j’étais petite, j’allais peu au théâtre ou au cinéma. Du coup, chaque sortie était une fête, je l’attendais, je l’imaginais dans ma tête. Oui, le théâtre me manque. Alors je me dis : quand je pourrai y retourner, si je cherchais plutôt la qualité que la boulimie ? En même temps, j’espère pouvoir aller à La Bâtie en septembre, et là je serai dans la boulimie (rires).

Quand vous vous trouvez sur le plateau, que cherchez-vous à dire avec votre corps, que ne disent pas les mots ?

–  Ce qu’il y a entre les mots, ce qui n’est pas dit ; les silences, le rythme du personnage ou celui du texte. Chaque texte appelle sa dynamique propre et le corps me permet de lui donner un souffle. J’adore aussi les rôles d’écoute, qui sont des contrepoints. Le corps sur un plateau peut être tellement de choses différentes, même en ne faisant rien, tu existes.

Ce qui importe c’est la qualité de la présence. Les très grands acteurs sont extraordinaires de présence. La présence est une générosité. Et c’est ça qui maintenant s’arrête… Ça me fascine plus que la technique. Tout ce qu’on a fait avec Malandro comme exercices sur les techniques de corps, être en action incessante, maintenir une permanente tension musculaire, ça s’exerce. Personnellement, je préfère les présences qui se travaillent en profondeur, de l’intérieur. C’est une concentration à trouver, un imaginaire qui nous amènent à débusquer ce qu’il y a sous chaque mot, sous chaque rythme comme on peut le faire avec le sens du texte. Alors quelque chose se pose dans le corps, et s’élargit. Tout un univers intérieur s’ouvre. Ce quelque chose ne peut s’activer mécaniquement. Je me sens juste dans mon corps, ou pas.

En répétition, je travaille comme un petit papillon ; je me tape contre les murs pouf ! pouf ! pouf ! Et, tout à coup, je sens qu’il y a un “truc” qui s’ouvre, qui est juste – à ce moment-là, par rapport à cette pièce-là, par rapport aux demandes de ce metteur en scène-là, avec ces partenaires de jeu-là, dans cet espace-là, dans cette lumière-là, dans ce costume-là. Ensuite, je peux commencer à creuser. Mais au départ, il y a chez moi cet affolement, auquel succède l’ancrage qui, précisément, consiste à travailler sur et avec le corps. À ce stade là, on ne flotte plus au-dessus du plateau ; on gagne en matérialité et on atteint la générosité. On cesse d’être concentré sur soi, afin de se concentrer sur l’autre : on écoute. Ensuite, en représentation, tu te concentres aussi sur le public : comment respire-t-il ? Comment réagit-il ? Comme si tu étais une petite cellule dans un ensemble plus grand. Avant d’être la cellule d’un corps entier qui serait le spectacle, il faut que toi, petite cellule, tu existes. Il arrive de ne pas atteindre cette qualité de construction, alors on se contente d’être une petite membrane et le jeu reste extérieur. On a une forme de cellule, on fait corps techniquement, mais il manque la 3D. C’est ce que je vois quand les acteurs friment. Ça me déplaît parce que ça ne me touche absolument pas.

Je me laisse prendre quand tout est plein, or je ne pense pas que tu es plein à la base. Ça se travaille ; on se remplit d’expériences, de rapports humains, d’air, comme dans la vie. En soi, je crois qu’on n’existe pas. C’est pour ça que cette période est intéressante : tu es confinée… Comment tu existes ? Je suis d’autant plus confinée que je suis seule ; ma coloc’ est partie. Je traverse des phases où je me dis que je vais me dissoudre dans l’air.

Que provoque en vous le regard collectif et anonyme du public ? Sentez-vous les spectateurs ou vous rendez-vous imperméable à leur présence pour ne pas être déstabilisée ?

Je ne vois pas le public parce que je suis myope comme un taupe et que je joue souvent sans lunettes, mais je le sens. Si je ne suis pas prête ou fragilisée, je m’en protège. Il y a des énergies et des salles plus ou moins porteuses. Tu sais quels spectateurs n’aident pas, perçois ceux qui dorment. Tu sens plus que tu ne vois.

C’est comparable à un moment d’hypnose collective. Les acteurs entre eux sont aussi en état d’hypnose, du fait de leur concentration. Cela explique que tu ne ressentes pas la douleur quand tu te blesses, que tu parviennes à jouer malade. Tu peux atteindre cette même osmose avec les spectateurs quand la représentation est bonne et que la connexion se fait entre la scène et la salle. Ça circule. Les spectateurs modifient légèrement le rythme du spectacle si on se met à leur écoute. On sent qu’il faut accélérer à ce moment-là car ça fatigue, là ils sont pris au contraire, donc tu peux prendre le temps. Le public est un partenaire multiple. Il y a longtemps, j’ai joué dans un spectacle mis en scène par André Steiger. Chaque comédien faisait face à un spectateur. Cela a créé un lien très étrange, une immédiate intimité comme si cette personne, tout à coup, me reconnaissait. Même dans un rapport normal avec un public multiple, cette sensation existe. Une relation de complicité mais aussi de pouvoir s’établit car c’est toi qui racontes et l’autre qui écoute. Il m’arrive, comme spectatrice, d’avoir l’impression que l’acteur me parle directement. Je le connais parce qu’il me parle et ce qu’il me dit me touche. Je me reconnais en lui. Cela peut arriver avec la littérature mais dans la lecture il y a quelque chose de plus intime, presque sexuel. J’y ai réfléchi parce que j’ai eu un projet de lectures à domicile. Comme le personnage n’est pas là, on reste nous-même qui lisons à quelqu’un, l’imaginaire travaille chez la personne qui écoute. Au théâtre, l’acteur propose son imaginaire à celui qui regarde.

Êtes-vous la même hors scène et sur scène ? Qu’est-ce qui caractérise, selon vous, votre personnalité scénique ?

Je ne pense pas être la même sur scène et dans la vie. Par contre j’essaye d’abandonner des petits bouts de moi, certains inexplorés, sur le plateau. Je suis obligée de partir de moi, je ne suis pas neutre. Il n’y a pas d’objectivité chez l’acteur/le personnage, il est pétri de subjectivité. C’est d’ailleurs ce qui est compliqué car la subjectivité d’un(e) metteur(e) en scène n’est pas forcément celle du comédien(ne). Il est nécessaire de se comprendre pour se rejoindre, mais il arrive que ces deux subjectivités ne se rencontrent pas et cela crée des tensions. C’est ma compréhension – subjective – du texte ou de l’auteur que je propose aux spectateurs, je tente d’être au service du texte mais je suis limitée par mon cerveau. Mes partenaires de jeu m’aident aussi beaucoup et parfois je ne fais que réagir à leurs propositions.

Ce que je pense posséder sur le plateau que je n’ai pas dans la vie, c’est une liberté. Être libre d’expérimenter des situations. Le théâtre, c’est “pour de faux” et n’implique pas mort d’homme. Pardon, je suis en pleine régression (elle avale une cuillère de lait concentré sucré en souriant).

La scène me confronte à mes propres limites et me pousse à les dépasser. Le théâtre me transforme aussi parce que mon corps est mon outil. En musique il n’y a pas de transformation de l’interprète mais au théâtre il y forcément une transformation de l’acteur. Il enlève sa peau, en met une autre mais reste quand même écorché dessous. L’acteur joue avec les émotions sans objet transitionnel, alors que le musicien a comme objet transitionnel son instrument pour créer de l’émotion.

Je trouve la vie dure car je ne comprends pas toujours les motivations des gens. Parfois, ça me déprime à mort de vivre. Le théâtre m’apporte de la joie parce qu’il m’aide à penser. Pour monter une pièce, il faut tirer un fil, élaborer une construction : il y a donc une compréhension qui s’enclenche. Le moment du plateau est un moment de compréhension de la vie. La pensée se concentre dans un endroit et dans un temps donnés, guidée par une vision du monde. Cette vision est proposée, elle n’est pas imposée ; ce n’est pas la vérité mais une proposition partagée. Je me dis que c’est beau. Même si les sujets en soi sont durs ou laids, je trouve beau qu’il y ait une clarification de pensée, et un appel à la partager, comme quelque chose de fraternel. Je ne retrouve pas forcément cet élan dans la vie. Par exemple, ça me déprime de savoir qu’actuellement des gens commandent des choses sur Amazon ! je pourrais en pleurer… Ça veut dire qu’ils ne pensent pas à ce que cela implique. Sur un plateau tu es obligé de penser, tu dois construire. Tu ne peux pas faire à l’instinct car ça ne donne rien, ou alors c’est vraiment mauvais. Cette possibilité de pensée collective au théâtre est donc positive.

Crédit: Denise Carla Haas

On dit que le théâtre est l’art de l’illusion par excellence, celui qui se joue et joue avec la réalité. Le théâtre est-il néanmoins pour vous un moment de vérité ?

Sur ce plan-là, je suis d’accord avec Shakespeare : la vie est un théâtre. La vie, c’est raconter et chercher ainsi à être au plus proche de la vérité. Cela m’intéresserait, en tant que metteure en scène, de trouver comment rendre au théâtre la sensation que j’éprouve quand je regarde par la fenêtre : il y a une collusion de choses qui se passent, qui n’ont pas forcément de lien a priori, mais qui sont rassemblées par le cadre imposé par cette fenêtre. Ça, c’est vrai ! C’est la vie ; la dame qui descend l’escalier, le caniche qui pisse contre le mur… Cette vision me raconte quelque chose du vrai. Je me demande comment rendre ça sur un plateau, comment créer un moment de vérité dans lequel chaque spectateur se reconnaîtrait, même si cette impression est créée de manière totalement artificielle. Comment transposer le cadre de la vie, et rendre perceptibles les changements de dynamique, le déroulement du temps. J’ai rarement vu ça sur scène, et je ne parle pas de théâtre documentaire car cette sensation de vérité n’est pas du tout liée au genre. Aussi rare que cela puisse être, quand j’y accède, alors oui, j’approche une forme de vérité, grâce au théâtre.

La vérité existe aussi parce que les corps sont là. Des gens vrais parlent au moment présent dans un espace partagé. C’est l’une des différences avec le cinéma. Au théâtre, le cadrage est limité, souvent réduits à un point de vue pour chaque spectateur. Par contre, des vrais gens bougent, donc cette vision est enrichie de la troisième dimension qu’offre le réel. Ces vraies personnes, les acteurs, sont plus ou moins en forme. Ils amènent malgré eux leur vie sur le plateau. La vérité des corps règne sur scène. Parmi mes premières émotions de spectatrice, entre 11 et 15 ans, même si je m’embêtais affreusement au théâtre parce que c’était parfois trop compliqué, je ne serais jamais sortie, simplement parce qu’il y avait là des gens en vrai qui jouaient devant moi. Je n’avais pas peur d’être impolie mais que quelqu’un soit là “pour moi” m’inspirait du respect.

Tu sors dans la rue, enfin en ce moment tu ne peux pas (rires) mais imaginons, tu t’assois quelque part, personne ne va se mettre en face de toi et être là juste pour toi comme ça. C’est incroyablement généreux. Quelqu’un vient, se tient devant moi et me raconte quelque chose. C’est quand même chouette ! Si j’avais ça dans la vie je n’aurais peut-être pas besoin du théâtre. C’est sans doute pour cette raison que je n’aime pas les acteurs qui friment, ça ne m’intéresse pas. Il y en a assez qui viennent frimer dans la vie. J’aime avoir cette impression qu’on s’assoit au bord de mon lit pour me raconter quelque chose. Je trouve beau que quelqu’un partage simplement quelque chose avec moi. J’éprouve la même sensation quand je joue : je trouve beau que des gens viennent s’asseoir pour écouter ce que je peux dire. Ça m’émeut à mort. On se plaint souvent qu’il n’y a pas assez de spectateurs, mais moi je suis surprise à chaque fois qu’il y en ait toujours quelques-uns qui viennent, c’est incroyable. Qui est-on pour dire : « Faut m’écouter ! » ?

Comment vivez-vous le confinement par rapport à votre métier?

– Au début je me disais : « Super ! Je vais pouvoir bosser sur ma prochaine création, en plus il y a des liens à faire ». Ben en fait, je n’y arrive pas… En temps normal, si je dois écrire je reste aussi chez moi, mais je peux sortir. Actuellement, je ne peux pas sortir, et je n’arrive pas à travailler. Ça me dépite ; pour une fois que j’ai le temps je n’y arrive pas. Je me suis dit qu’il fallait accepter ce trou de rien. Le confinement n’est pas un endroit pour le théâtre. Ça ne marche pas. Je n’arrive même pas à faire de sport, pas la moindre petite salutation au soleil, rien… Je m’occupe en fabriquant des “machins” avec mes mains pour les amis, pour leur dire que je les aime et qu’ils me manquent.

Quelle est votre vision pour le théâtre dans le monde d’Après?

– Je suis partagée. Pessimiste, je nous vois nous enfoncer dans le théâtre de consommation, et affirmer notre frénésie à produire encore plus de spectacles. Dans ce cas, on n’aurait rien appris, sauf le manque, et cédé à l’avidité de se remplir vite à nouveau. Ce serait opter pour un théâtre de divertissement basé sur une économie affaiblie. J’ai beau toucher du bois, je me dis que ça ne va pas aller mieux pour la profession financièrement. Ça va être dur ; il va falloir faire encore plus vite, pour encore moins cher.

Cette suspension aura des répercussions sur nos conditions de travail ; ça va bouchonner. Certains spectacles vont être reportés mais cela veut dire que d’autres ne pourront pas avoir lieu. On va vouloir tout caser comme dans un grand supermarché, ce qui est déjà tendance. Or, je ne pense pas que ce soit la bonne solution. Nous pourrions aussi faire le deuil et dire : « Voilà, il y a un vide » et l’accepter. Ralentir un peu la production.

Optimiste, je m’aperçois que confinés, nous agissons en auto-gestion grâce à l’entraide, par la base et grâce aux échanges. On agit totalement hors des pressions financières car tout à coup, on ne peut plus gagner de l’argent avec notre travail. On dispose de temps libre, donc on met plus ou moins consciemment en place une logique de don. Apprendre de cette situation nous permettrait de faire les choses plus simplement, plus calmement, avec moins de pression. J’ai un rythme lent à la base, et j’avais une tendance croissante à culpabiliser de ne pas être assez productive. L’agenda demande de remplir le temps parce que c’est comme ça qu’on doit vivre, il faut être efficace, performante, répéter peu, jouer vite, quatre représentations et hop ! on passe au spectacle suivant.

La création d’un spectacle demande du temps, il faut plusieurs représentations publiques pour qu’il se bonifie. L’art n’est pas un produit de consommation. Mais pour que cela soit possible il nous faut sortir d’une économie libérale. Le revenu de base inconditionnel pourrait être une solution. Cet arrêt forcé offre du temps pour imaginer une autre manière de faire des spectacles. Cette dynamique ne peut pas se créer par le haut, mais “en besoin”. Être confinée m’apprend mon besoin des autres. Je ressens le manque physique de l’autre. Je peux communiquer, appeler mais cela change tout de toucher quelqu’un, de voir la personne en vrai autour d’un café, de discuter sous le soleil, de créer avec, en regardant les gens passer. Notre isolement me révèle ce besoin-là. Pour moi, la vie c’est les autres.