Carole Epiney, névrosée à temps partiel

Elle était impeccable dans « Les névroses sexuelles de nos parents ». La valaisanne Carole Epiney affronte les aléas de la vie de comédienne romande avec une belle énergie.

Finalement, Lukas Bärfuss n’est pas venu au Pulloff. Tant pis pour lui. L’auteur des Névroses sexuelles de nos parents n’aura pas vu Carole Epiney camper avec une troublante authenticité le douloureux personnage de Dora. Il n’aura pas assisté à cet effondrement de l’être dans lequel s’engouffrent tous les personnages. Ni applaudit la belle prestation à l’unisson d’un public nombreux et ravi.

Crédit photo: Carl Alex 

Dans la vie, Carole Epiney a peu à voir avec Dora. Aux brumes médicamenteuses, elle oppose une belle énergie solaire. Comédienne, comme sa soeur Pauline, elle est passée par le Conservatoire de Lausanne et l’Ecole de Théâtre des Teintureries. C’était dans la première moitié des années 2000. Depuis? Depuis, elle alterne les rôles, les lectures et les assistanats à la mise en scène. Et, parfois, les périodes de doute. Un parcours finalement classique dans une profession qui ne ménage pas toujours ses valeureux petits soldats. Si le talent n’est pas rare en terre suisse, les propositions, elles, le restent. « En France, ils ont des agents, constate Carole Epiney. C’est un système qui n’est pas implanté ici. Je pense que cela faciliterait beaucoup de choses pour nous. Peut-être aussi qu’il y aurait moins d’abus ».

Créer sa compagnie

A défaut d’agent (et d’argent!), il faut se prendre en main soi-même. Et, comme le font beaucoup de jeunes comédiens au sortir des écoles, créer sa propre compagnie si l’on veut mener à bien ses projets. Carole a fondé la sienne en 2011, dans un premier temps pour monter des textes de jeunesse de Feydeau.
« Ici, on peut facilement monter sa compagnie, se réjouit la comédienne. Le problème, c’est que l’argent va essentiellement à la création et qu’il en reste très peu pour organiser des tournées. C’est donc difficile de vendre les spectacles ailleurs ». Et Carole de s’interroger sur la réelle volonté politique de faire rayonner les artistes suisses. « Pour aller en France ou en Belgique, il faudrait plus de soutien, poursuit-elle. Parce qu’il y a vraiment de très belles choses qui se font en Suisse. Rayonner, ce n’est pas seulement aller à Paris, on peut juste sauter la frontière: j’ai envoyé des dossiers à Thonon, par exemple, mais ils ne répondent jamais. Après, c’est aussi une affaire de réseau ».

Il faut être vu

« J’ai du réseau en Valais, puisque je viens de là, note Carole. Mais dès que l’on veut jouer à Genève, c’est plus dur, parce que nous ne sommes pas très connus. Pour Les Névroses, aucun théâtre n’a accepté de nous rencontrer. Pourtant, Lukas Bärfuss, c’est un auteur qui devrait les intéresser ».

C’est toujours cette vieille histoire du chien qui se mord la queue: pour que les metteur en scène vous propose un rôle, il faut qu’ils vous voient jouer. Et pour jouer, il faut trouver des lieux pour se produire. Quant au réseau, indispensable dans ce métier, il réclame d’y consacrer du temps, mais aussi pas mal d’opiniâtreté et d’entregent. « Il faut envoyer des dossiers aux directeurs, adresser des mails sur son actualité. Bien sûr, on peut aussi se rendre dans les théâtres, notamment lors des premières, mais j’ai un peu de peine avec cette méthode. Aller enquiquiner les gens, ce n’est pas mon truc. J’ai toujours le souci de rester intègre, d’éviter de faire de la « lèche ». De toutes façons, il y aura toujours des gens qui seront sensibles à ce que tu fais. Et puis tu apprends toujours quelque chose. Sinon, il y aussi une question de feeling: pas la peine de faire du rentre dedans. »

Depuis 2011, date de la création de la compagnie, est-ce que les choses ont évolué? « Non, ça devient difficile. On a le sentiment que l’écrou s’est resserré. Ils veulent réduire le nombre de compagnies, ils semblent plus intéressés par les grandes structures. Mais je n’ai pas postulé pour Théâtre Pro – ndlr: un organisme qui a pour objectif d’encourager et de soutenir le développement de la création théâtrale professionnelle en Valais -, c’est plus contraignant. Et puis, on a le sentiment, à tort ou à raison, que ce sont toujours les mêmes qui obtiennent quelque chose. Oui, il faut quand même être sur une certaine ligne. Cela dit, c’est normal: moi aussi je cherche à me constituer un réseau. »
Entre deux castings et la rédaction d’une demande de subvention, l’une des étapes de l’itinéraire du comédien consiste aussi à fréquenter les stages et autres ateliers qui sont proposés en Suisse romande. « J’essaie quand c’est gratuit, relève Carole. Tu ne peux pas te faire rembourser, du moins à Lausanne où ils n’entrent pas en matière. Après, on ne peut pas faire que ça. C’est utile pour stimuler et agrandir le cercle des connaissances. Mais sinon, c’est un budget et tu te retrouves souvent à manger sur le pouce. Bref, pour être comédien, il faut vraiment aimer la vie d’artiste! »

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