Liv Van Thuyne et Serge Martin

Le génie des ingénu.e.s [Acte I]

Sur les rotules et langue pendante, compagnies et théâtres bouclent leur saison. Une myriade de festivals prend le relai en Romandie : Cité, Belluard, FAR, Orangerie, salles nomades et bientôt La Bâtie. Pas de temps mort pour les arts vivants. Les années covid mettent la fièvre, mais n’altèrent pas le goût de la riposte. Avec une souplesse d’acrobate, les artistes et techniciens Sans Travail Fixe s’adaptent aux nouvelles directives. Le public repart à l’assaut des salles, gourmand comme après la jachère.

 

Au cœur de cet été tourmenté, abreuvons-nous de quelques fraîches paroles. 

Interpelée par l’idéalisme de jeunes croisés dans une école de théâtre genevoise lors d’une intervention, je décide de puiser à la source quelques paroles d’élèves ; ingénues, saines, indemnes, radicales. Débutant leur formation, ces apprenti.e.s comédien.ne.s ont le verbe intact. Aucune expérience professionnelle n’a encore abimé leur enthousiasme, entravé leur détermination, ni altéré leurs envies.

Quels sont les motivations, les rêves, les difficultés, les lectures, le rapport à la transmission ou à l’image d’une génération née en l’an 2000, avec accès illimité à la culture internet et biberonnée aux réseaux sociaux ? Partons nous désaltérer à cette fontaine de jouvence.

Et pour qu’il y ait concordance – ou dissonance – des temps, la parole d’un.e praticien.ne-pédagogue offre son contrepoint générationnel.

Pour inaugurer ce feuilleton, je m’entretiens avec Liv Van Thuyne, 22 ans, élève de 1ère année à l’école Serge Martin. Malgré son jeune âge, elle s’est déjà frottée au large spectre des arts, sensible aux subtilités qu’offre chacun d’eux. En écho, la magie de la pensée concentrée du maître Serge Martin, qui dit tant en si peu de mots.

 

Serge Martin et Angelo Dell’Aquila – photo du spectacle “Copies” ©Olivier Carrel
Liv Van Thuyne (autoportrait)
À quel moment avez-vous décidé d’entamer une formation théâtrale diplômante ?

LIV. Je baigne depuis l’enfance dans un milieu poreux à l’art. J’ai suivi des cours de chant et de piano. Je regarde énormément de films ; j’ai même hésité à faire une école de cinéma. J’aime dessiner. Ma mère fait de la gravure. En famille, nous avons visité de nombreux musées et lorsque nous voyageons ensemble, nous sommes attentifs à l’architecture.

J’ai commencé le théâtre petite, puis j’ai arrêté. J’ai recommencé à 12 ans en considérant cette activité d’abord comme un loisir. Le théâtre m’a particulièrement attirée car il réunit plusieurs arts. Le pratiquer a détendu mon rapport à la scène, qui n’était pas serein quand je devais y chanter ou y jouer du piano.

Peut-être est-ce aussi en voyant des comédiens professionnels jouer que l’idée a germé d’aller plus loin. Quoiqu’il en soit, pendant mes études au Gymnase, j’ai décidé d’y consacrer davantage de temps. J’en ai discuté avec mes parents, exploré les différentes écoles envisageables, réfléchi à l’argent. Bref, j’ai élaboré mon plan d’attaque, sans être sûre à 100% de mon orientation. Je me suis dit : « je vais franchir, une à une, les étapes. Si cela s’arrête, c’est que je ne suis pas faite pour cela ». Les concours d’entrée en sections pré-professionnelles se sont bien passés, ce qui m’a donné confiance et rendue fière. J’ai intégré la pré-pro de La Chaux-de-Fonds qui m’a permis de découvrir concrètement ce qu’est l’art de la scène. Aujourd’hui, je poursuis ma formation à l’école Serge Martin à Genève. Mon désir d’en faire mon activité principale se confirme, plusieurs années après ce premier déclic au Gymnase.

 

SERGE. Après avoir fait des imitations de professeurs dans l’école d’ingénieurs l’INSA à Villeurbanne et suivi un cours à Montpellier. Mais je n’ai pas eu à prendre une décision, ça s’est fait en le cachant à mes parents, en rebelle. C’était une époque de rébellion.

  

Vos parents ont-ils joué un rôle dans votre intérêt pour le théâtre, ou est-ce un appel personnel ?

LIV. Cette question me fait réaliser que mes parents ont joué un rôle mineur dans mon rapport au théâtre, alors qu’il est majeur dans le développement de ma curiosité vis à vis des autres arts. Ma grand-mère m’a initiée au cinéma, mon père à la musique, ma mère aux arts visuels. Mais je suis très peu allée au théâtre en famille. Le théâtre, je l’ai plutôt partagé avec des amis. Bien que peu attirée par la littérature en général, j’ai toujours aimé lire le théâtre. Le rythme d’écriture propre au théâtre me plaît. Par ailleurs, j’aime visualiser le jeu des comédiens en lisant.

« Peut-être est-ce aussi en voyant des comédiens professionnels jouer que l’idée a germé d’aller plus loin. » Liv

Votre rêve de comédien.ne, c’est…

LIV. Cela se mélange un peu… Fortement intéressée par la pédagogie, le théâtre me semble une mine d’or pour travailler avec les enfants. Il permet de jouer, interagir, mélanger les langages. J’aimerais investir le langage théâtral comme un outil de communication avec les enfants. Plus tard, je rêve de mixer les deux : théâtre et pédagogie. Pourquoi ne pas devenir prof, mais avec le back-ground* théâtral, afin d’élaborer une méthode qui mélange les deux champs ? L’école Serge Martin fait légèrement dévier mon projet, car depuis que j’y étudie, j’ai beaucoup plus envie de jouer professionnellement. Être comédienne, idéalement, c’est pouvoir se permettre plein de choses ; voyager, imaginer, entre partenaires de scène bien sûr, mais aussi avec les spectateurs. Le rêve parfait serait de trouver l’amusement tout en offrant au public un moment hors du temps.

 

SERGE. Un échange en scène qui s’avère la plus belle expérience de liberté que je connaisse,  avec un don de soi pour les autres, spectatrices et spectateurs compris, bien sûr. Je l’ai peu rencontré dans les spectacles auxquels j’ai participé. Je le pratique à travers l’enseignement.

Le théâtre me permet de croire. C’est pour cette raison que je m’évertue à transmettre ce qu’il y a de beau dans les rapports humains et à dénoncer ce qui les défigure. Il est indispensable de défendre la notion de jeu, de la partager avec le plus grand nombre. Plaisir et qualité critique, et surtout la liberté que le jeu procure. S’il n’y avait qu’une seule chose à transmettre, ce serait cette liberté, ce goût du possible !

« Le théâtre me semble une mine d’or pour travailler avec les enfants. Il permet de jouer, interagir, mélanger les langages. » 

Quel plaisir particulier avez-vous découvert à l’école ?

LIV. Le plaisir des rencontres ! Avec les enseignants, les praticiens, les intervenants, avec les spectacles vus aussi. J’éprouve du plaisir à voir les professionnels en action ou à les entendre parler. Il y a aussi le plaisir des discussions avec mes camarades, notamment avec celles et ceux qui, guidés par l’évidence, sont déterminés à devenir comédien.ne.s. Nos échanges font écho à ce que je pense. L’abondance d’activité et le travail de groupe me réveillent ! Les moments où nous jouons beaucoup à l’école me stimulent davantage qu’ils ne me fatiguent. L’effervescence des cours de mouvement, de chant, de jeu, m’excite.

 

Quel plaisir particulier éprouvez-vous à enseigner et transmettre ?

SERGE. L’exigence et la patience exigées pour épauler les élèves me conviennent. Après tant d’années, je peux dire que c’est ce que je sais faire de mieux.

L’apprentissage comprend transmission et innovation par le seul fait que les élèves ne sont jamais les mêmes. Les cours évoluent grâce à cette jeunesse renouvelée. La transmission qui évolue, voilà qui me fait vieillir moins vite.

 

Quel serait votre théâtre idéal ? À construire s’il n’existe pas, ou à rejoindre s’il existe.

LIV. Le genre de la comédie musicale m’attire énormément. Je regarde beaucoup de films des années 50, notamment des music-halls classiques. Ma prof de chant à l’ÉJMA* avait fait de la comédie musicale. J’ai adoré découvrir cette technique de chant et j’aime le grandiose sur scène. Voir des gens chanter et danser, entendre la musique, recevoir l’émotion pure de plein fouet. Je ressens dans la comédie musicale à la fois l’amusement et la force du groupe ; deux moteurs importants pour moi. C’est ensemble que se construit le “tout” sur scène. J’ai eu la chance de suivre un stage de comédie musicale sur 10 jours. J’ai trouvé intense et beau de créer autant de choses en même temps. Réunir la danse, le chant et le jeu me semble tout simplement magique…

 

SERGE. Je rêve que le théâtre devienne un besoin de ce qu’on nomme le « vivant » et dont on manque de plus en plus. Qu’il puisse être partagé d’une manière beaucoup plus vaste dans de multiples formes (ce qui est déjà la cas) afin de retrouver l’esprit du forum et son impact politique.

Quel rapport à votre image entretenez-vous ? Sur un plateau de théâtre ? Sur un tournage de film ?

LIV. Le fait que l’on me voie sous tous les angles ou dans la peau de toutes sortes de personnages, ne me dérange pas du tout. Au contraire, cela m’amuse et me permet de me découvrir. C’est moins le regard des autres sur moi qui me gêne que mon propre regard. Je ne suis pas toujours à l’aise avec moi-même, avec mon corps, et cela peut me bloquer. Me savoir regardée m’aide plutôt que cela me bloque. Ce n’est plus un rapport fermé sur moi-même mais ouvert aux autres, et cela m’aide clairement à me détacher de mes peurs.

J’ai participé à un ou deux courts-métrages de cinéma. Là non plus, cela ne m’a pas dérangée de me revoir à l’écran ou que d’autres me voient. Je me souviens avoir particulièrement aimé la dimension exploratoire qu’offre la caméra. Elle permet de se concentrer sur les expressions du visage. Au théâtre, j’y fais moins attention car le regard public est moins focalisé.

 

SERGE. Au théâtre, si je pense à l’image, c’est celle du personnage. Je peux m’enlaidir, le diminuer. Aucun problème. J’aime changer. J’ai toujours préféré l’Indien au cow-boy. Dans le cas où c’est moi qui m’adresse au public, j’opte pour le plus simple possible.

Je n’ai pas vécu assez d’expériences au cinéma pour en parler.

 

Vous dites aimer lire le théâtre, quelles sont vos œuvres/auteurs dramatiques fétiches ?

LIV. En attendant Godot de Beckett, pièce lue au Gymnase, m’a marquée. C’était ma première lecture de pièce « contemporaine ». J’y avais d’ailleurs puisé les scènes pour les concours d’entrée. J’aime l’absurde et la liberté offertes aux personnages.

Sur un plan historique, j’adore Aristophane. C’est tellement vieux et pourtant nous le lisons aujourd’hui encore. Ce rapport au passé et à la projection me fascine, me fait me sentir bien et pas bien en même temps. Quoiqu’il en soit, son œuvre indique quelque chose de la grandeur du théâtre.

Marivaux me fait beaucoup rire, à croire que le comique de cette époque fonctionne très bien sur moi. J’aime l’idée de test chez cet auteur. Son humour le rend facile, accessible, populaire. Je ris en le lisant. Oui, Marivaux me permet de me sentir bien pendant 2 heures.

 

Aimez-vous lire le théâtre ? Si oui, quelles sont vos œuvres/auteurs dramatiques fétiches ?

SERGE. Oui, j’aime lire le théâtre. Il y a tant d’écritures aujourd’hui qu’on se doit d’essayer de les comprendre, de les aborder avec simplicité et respect, essayer de les découvrir.

J’ai dû lire une dizaine de fois les pièces de Shakespeare, Hamlet et Macbeth plus encore, c’est dû à l’enseignement. Molière et Beckett aussi. Si non, Tchekhov, Jarry, Sarah Kane, Marion Aubert, Novarina, Grumberg, Richter.

 

En tant qu’étudiante-comédienne, quelles sont les principales difficultés que vous rencontrez ?

LIV. Les retours personnels et précis me manquent parfois. Le fonctionnement de l’école va à contre-courant de ce que j’ai connu préalablement dans mes études, où nous étions sans cesse sanctionnés par les notes et les appréciations.

Devoir subitement travailler pour soi et non pour réussir une année scolaire ou atteindre les objectifs fixés par un prof, me perturbe beaucoup, jusqu’à parfois m’empêcher d’avancer dans une matière. D’un côté, je trouve cela super intéressant au niveau de la pédagogie, mais, de l’autre, si difficile de se développer pour soi-même. Je ne suis tout simplement pas habituée à cela. Même si j’adore l’idée de faire une école par choix, pour soi, je suis perturbée car coutumière du système scolaire qui donne une échelle d’évaluation précise et rigide.

La difficulté que j’exprime là m’apprend qu’il faudrait faire les choses pour soi. Ce n’est pas facile à appliquer mais contribue à une saine pédagogie. Avec les autres élèves, nous réalisons que les cours nous indiquent énormément de choses sur la réalité du métier qui nous attend. En tant que futurs interprètes, nous devons apprendre à faire nous-mêmes une partie du chemin.

 

« Le théâtre me permet de croire. C’est pour cette raison que je m’évertue à transmettre ce qu’il y a de beau dans les rapports humains et à dénoncer ce qui les défigure. » Serge

Vous dites aimer lire le théâtre, quelles sont vos œuvres/auteurs dramatiques fétiches ?

LIV. En attendant Godot de Beckett, pièce lue au Gymnase, m’a marquée. C’était ma première lecture de pièce « contemporaine ». J’y avais d’ailleurs puisé les scènes pour les concours d’entrée. J’aime l’absurde et la liberté offertes aux personnages.

Sur un plan historique, j’adore Aristophane. C’est tellement vieux et pourtant nous le lisons aujourd’hui encore. Ce rapport au passé et à la projection me fascine, me fait me sentir bien et pas bien en même temps. Quoiqu’il en soit, son œuvre indique quelque chose de la grandeur du théâtre.

Marivaux me fait beaucoup rire, à croire que le comique de cette époque fonctionne très bien sur moi. J’aime l’idée de test chez cet auteur. Son humour le rend facile, accessible, populaire. Je ris en le lisant. Oui, Marivaux me permet de me sentir bien pendant 2 heures.

 

Aimez-vous lire le théâtre ? Si oui, quelles sont vos œuvres/auteurs dramatiques fétiches ?

SERGE. Oui, j’aime lire le théâtre. Il y a tant d’écritures aujourd’hui qu’on se doit d’essayer de les comprendre, de les aborder avec simplicité et respect, essayer de les découvrir.

J’ai dû lire une dizaine de fois les pièces de Shakespeare, Hamlet et Macbeth plus encore, c’est dû à l’enseignement. Molière et Beckett aussi. Si non, Tchekhov, Jarry, Sarah Kane, Marion Aubert, Novarina, Grumberg, Richter.

 

En tant qu’étudiante-comédienne, quelles sont les principales difficultés que vous rencontrez ?

LIV. Les retours personnels et précis me manquent parfois. Le fonctionnement de l’école va à contre-courant de ce que j’ai connu préalablement dans mes études, où nous étions sans cesse sanctionnés par les notes et les appréciations.

Devoir subitement travailler pour soi et non pour réussir une année scolaire ou atteindre les objectifs fixés par un prof, me perturbe beaucoup, jusqu’à parfois m’empêcher d’avancer dans une matière. D’un côté, je trouve cela super intéressant au niveau de la pédagogie, mais, de l’autre, si difficile de se développer pour soi-même. Je ne suis tout simplement pas habituée à cela. Même si j’adore l’idée de faire une école par choix, pour soi, je suis perturbée car coutumière du système scolaire qui donne une échelle d’évaluation précise et rigide.

La difficulté que j’exprime là m’apprend qu’il faudrait faire les choses pour soi. Ce n’est pas facile à appliquer mais contribue à une saine pédagogie. Avec les autres élèves, nous réalisons que les cours nous indiquent énormément de choses sur la réalité du métier qui nous attend. En tant que futurs interprètes, nous devons apprendre à faire nous-mêmes une partie du chemin.

 

« Il est indispensable de défendre la notion de jeu, de la partager avec le plus grand nombre. » Serge

En tant que pédagogue-guide, quelles sont les principales difficultés que vous rencontrez ?

 SERGE. Le pire pour moi est de voir un.e ancien.ne élève retomber dans ses défauts d’acteur, d’actrice, comme si on ne l’avait pas fait.e travailler.

La grande difficulté est de ne pas transpercer le plafond de verre de toutes les certitudes, quelles qu’elles soient. Dans le quotidien, c’est de ne pas arriver à aider l’actrice-l’acteur à émerger.

 

 

* back-ground : arrière-plan, dans le sens contexte.

* ÉJMA : École de Jazz et de Musiques Actuelles de Lausanne.