Djamel Bel Ghazi, tempête sous un crâne

MON TRUC EN PLUS (III) Un vent de tolérance chasserait des plateaux les a priori, si vite et si loin qu’aucune discrimination n’aurait le loisir d’y germer ! Vraiment ? Le conditionnel reste de circonstance. Publiquement, le microcosme artistique défend à cor et à cri toute spécificité comme la marque d’un supplément de caractère. Dans ce même fief niche pourtant un certain conformisme.

Tels des grigris portés près du cœur, nous brandissons nos valeurs universalistes et présentons la scène comme un espace exemplaire de liberté et d’éclectisme ; un cabinet des curiosités auxquels monstres sacrés, typés, freaks, créatures et idoles accèdent en foulant du tapis rouge. Ici, on kiffe les signes particuliers sans préjugés, promis juré ! Visionnaires, nous sublimons le hors-norme avec une longueur d’avance et dansons fièrement dans les marges. Le lisse et le convenu nous font lever les yeux au ciel en bayant aux corneilles. Nous préférons le charme tourmenté des beautés baudelairiennes, qu’exacerbe une déesse d’étrangeté. Pourtant… la singularité adulée par le poète lesté de spleen « trône parfois dans l’azur comme un sphinx incompris ».

L’humanisme auto-proclamé, proche parfois du sacerdoce, ne teinte-t-il pas davantage les déclarations théoriques que les actes ? Quiconque a participé à une audition ou un casting a senti l’inavouable frémir à mi-voix au détour de remarques douteuses, et certains préjugés peser lourdement dans la balance.

Un particularisme ethnique, morphologique, biographique ou culturel – que la bienséance rebaptisera pudiquement « originalité » – représente-t-il véritablement un atout ? Une origine étrangère, la couleur de la peau, l’atypisme d’un parcours, une spécificité physique, se révèlent-ils parfois des remparts pour accéder à certains rôles ?

Comment un comédien gère-t-il ses complexes, en tant qu’artiste mais aussi en tant qu’homme, dans un métier qui implique le corps et l’identité ? Le milieu artistique échappe-t-il aux élans grégaires qui poussent les moyens à ostraciser l’exceptionnel ? Pas sûr…

À l’occasion du feuilleton Mon truc en plus, les témoignages d’acteurs aux personnalités bien trempées éclairent ce questionnement sur le théâtre comme pratique fédératrice et inclusive. Troisième acte avec Djamel Bel Ghazi.

Portrait © Eric Roset

C’est sous un ciel cuivré, de poussières de dunes chargé, que mon interviewé et moi nous sommes retrouvés dans une Genève semi-confinée. Un vrai tête-à-tête, avec café corsé et croissants en miettes.  

Djamel se pointe sans crainte, mais pas sans appréhension de la conversation. Voilà plus de dix ans que cet ex-trader s’est détourné de la planche à billets pour monter sur les planches. Depuis, il tape dans l’œil de quelques pointures, qui le mettent en selle pour chevaucher sa monture. Digne descendant d’une lignée de futés, Bel Ghazi (« fils de conquérant ») galope à l’assaut des plateaux. Armé d’un courage, dans lequel domine la rage, son éthique le met parfois en porte-à-faux face aux faux-semblants. Après le coup de bourdon et l’air bougon, place nette est faite aux jeux d’esprit et à l’humour, pour défier le mektoub*.  

Évoquer le passage à l’acte théâtral remue la trajectoire intégrale de l’artiste ; des rêves aux amertumes, des souvenirs du pire aux fous rires, il alterne récits endiablés et envolées insurgées, sans silences. Djamel est intense, sa langue pleine d’élégance. Cet as du fleuret dégaine le maître Grotowski qui pointe et pique pour « arracher les masques de la vie».  

Sur la table, des cendres et des livres. Au-dessus de nous, le souffle du Sahara embrase la discussion. Immersion immédiate.  

* interjection arabe qui signifie « ce qui est écrit » et fait donc référence au destin. Équivalent du fatum latin.

Quelle(s) rencontre(s) ou expérience(s) ont stimulé votre parcours et contribué à révéler votre personnalité artistique ?

Une rencontre – préalable à ma vie théâtrale – s’est révélée déterminante. J’ai fait un 3e cycle en Sciences économiques. Pour l’année de maîtrise en Analyse des Politiques Économiques, j’ai choisi le séminaire de Gérard Destanne De Bernis, réputé pour sa dureté. Des deux chemins qui se présentaient à moi, j’ai choisi le plus escarpé. À croire que s’il n’y a pas de difficultés, cela ne m’intéresse pas. Lors du premier cours, il annonce la couleur : « Dans les années 70, j’avais des étudiants algériens, j’étais plus dur avec eux qu’avec les autres ». Je prends ce coup de semonce en plein visage ; des seize étudiants inscrits à son séminaire, j’étais le seul maghrébin. Il poursuit : « Avec leur licence en poche, ils allaient rentrer en Algérie et occuper des postes à responsabilités. Je me montrais particulièrement dur avec eux, par respect pour leurs ambitions ». J’ai alors compris que cet enseignant me voulait du bien et ne se contentait pas de transmettre les connaissances nécessaires à l’obtention du diplôme, mais aussi des valeurs telles que la rigueur, des modes de raisonnement simples, l’honnêteté intellectuelle, un esprit de recherche perpétuel. Il élevait ses élèves, à une condition sine qua non : le travail. Cette exigence redoutable m’a conduit, depuis, à repousser mes limites, à travailler, à lire.
Lorsque j’avais une dizaine d’années, l’un de mes frères m’a dit : « il faudra que tu travailles deux fois plus que les autres ». Sur le coup, je n’ai pas compris le sens de sa phrase, mais la méthode de De Bernis y a fait écho. J’ai aimé faire des études et me destinais même à devenir enseignant chercheur. J’étais bien parti pour mais, à chaque moment de mon parcours, j’ai questionné mes choix pour faire ce dont j’avais envie. Comme j’étudiais les problématiques liées à la monnaie, j’ai ressenti le besoin de travailler en banque, afin de comprendre concrètement le traitement des devises, des options sur devises, des produits structurés.

Est-ce l’amour de la langue qui vous mène au théâtre?

J’ai toujours senti un attrait – presque inconscient – pour le théâtre, comme si j’étais attaché par la taille à un arbre bicentenaire avec un élastique. J’avançais, m’éloignant du tronc, mais quelque chose me ramenait systématiquement contre lui. Comme des forces invisibles qui te ramènent, non pas en arrière, mais au point de départ. Cet arbre enraciné : c’est le théâtre. À un moment donné, il faut l’arroser, le cultiver.

Le déclic s’est fait à Genève, alors que je travaillais comme trader en banque privée. Je démissionne en avril, sans raison claire ni aucun projet. Au mois de mai, je lis un encart dans La Tribune de Genève : auditions période probatoire école Serge Martin. Je crois au destin. Tous les participants avaient suivi des cours de théâtre, parfois même des formations professionnelles. Moi, j’étais complètement vierge de théâtre, mais je me suis retrouvé au pied de l’arbre… Nous faisions du corps, du masque neutre, activions la mémoire physique. C’est là que je dois être, me suis-je dit. En fin d’auditions, nous devions produire une scène solo. J’ignorais comment choisir un texte. Novice et terrorisé, j’avais l’impression d’avoir un trou dans la tête mais une citation de Roland Barthes m’est revenue. Elle est devenue ma scène. Je me suis levé et l’ai dite d’un trait : « Si je suis ce que je suis parce que tu es ce que tu es, et que tu es ce que tu es parce que je suis ce que je suis, alors je ne suis pas moi et tu n’es pas toi. Si je suis ce que je suis parce je suis ce que je suis et que tu es ce que tu es parce que tu es ce que tu es, alors je suis moi et tu es toi ». Je me suis rassis. Serge a commenté simplement « C’est un peu court » (rires). Lorsqu’il m’a rappelé pour m’annoncer « l’équipe pédagogique et moi avons envie de travailler avec toi », j’étais interloqué. Je ne savais pas encore qui était Serge Martin, mais sans le savoir j’avais posé les pieds au bon endroit. Cette réorientation a eu un prix. Je me suis beaucoup appauvri économiquement, j’ai changé de statut social, mais je me suis enrichi de trésors que je souhaite à tous les banquiers du monde.

Vous est-il arrivé de vous sentir « différent » ou jugé dans le cadre professionnel, et de ressentir un certain inconfort lié à ce jugement ?

– Oui, bien avant que je fasse du théâtre déjà. Au collège, deux de mes profs manquaient de bienveillance avec les élèves d’origine étrangère. En grandissant, j’essayais de me convaincre que là n’était pas la raison.

Quelle est la première chose qui définit la nationalité ? La langue. Si en Angleterre je parle anglais, si en France, je parle parfaitement français, on ne peut pas me dire « tu n’es pas Français ». Le truc insidieux, c’est que tu as beau être Français, tu dénotes. J’ai réussi très tard à dire : « Je suis Français ». D’ailleurs, je le dis plus facilement depuis que j’ai accepté mon arabité. J’ai grandi dans ce système pourri qui t’apprend à détester tes propres origines. Un système qui perdure malheureusement. À force d’être pointé du doigt, d’être désigné comme le mouton noir, tu rejettes ton sort et désires être quelqu’un d’autre, alors, tu prends la mentalité du colon, jusque dans l’attitude, sous l’épiderme. La force de la colonisation consiste à t’aliéner de l’intérieur, à agir dans la tête. Quand mes parents sont arrivés en France, nous devions « disparaître » pour prouver notre intégration. J’ai commencé à faire du trading à Genève, alors que je travaillais à Londres. Le milieu bancaire reste l’un des rares endroits où mes origines m’ont favorisé. J’étais demandé pour mon bilinguisme et ma culture double. Être Algérien n’était plus un handicap, mais au contraire une qualité. Je côtoyais des Libanais, des Marocains. Quand, depuis l’enfance, tu ressens une différence qui te pèse comme un handicap, un processus de résilience s’enclenche. Personnellement, je dois prouver ce dont je suis capable par le travail et la quête d’excellence, pour lisser cette différence.

Ensuite, c’est à l’école Serge Martin, dont l’enseignement était merveilleux, que cela a été violent pour moi, surtout la 1ère année qui se solde par une nouvelle sélection. J’ai découvert là les faiblesses, forces et travers humains. Je suis à l’aise sur un plateau mais pas dans un groupe. Cette tendance asociale fait partie de ma personnalité. Je sentais fortement cette différence comme un reproche à l’école, voire un motif de rejet. Pourquoi ne partage-t-on pas les sentiments d’injustice ? Dernièrement, une actrice m’a confié s’être sentie maltraitée psychologiquement et humiliée par l’un de ses partenaires de jeu, également metteur en scène, mais quand on lui demande si cela s’est bien passé, elle répond « oui oui». Elle est blanche, belle, européenne, très caucasienne, pourtant elle n’ose pas dire ce qu’elle a enduré. Sans exutoire, on se retrouve seul.e avec son problème, les frustrations s’accumulent et rendent malheureux.

Difficile de mettre son âme à nu sur un plateau lorsque l’on se soumet en permanence à l’effort de travestissement, que l’on ne peut pas tomber le masque. Dans le travail théâtral, tout est possible à condition de respecter l’autre dans sa singularité. Le climat de concurrence qui plane sur les auditions me met souvent mal à l’aise. Tacitement, tu es convoqué.e pour te battre pour un rôle. Des jugements de valeur sont régulièrement portés, même inconsciemment. Par exemple : « Il est bien, mais trop typé » ou « je ne peux pas prendre le risque ». Jamais les critères de cet ordre ne sont frontalement invoqués, pourtant je sais pertinemment que plusieurs rôles ne m’ont pas été confiés à cause de ça. Celui ou celle qui aura le courage de me dire un jour en face le motif de son refus, s’il est de cette nature, recevra toute ma reconnaissance. Merci de dire ! Taire les raisons réelles d’un refus ne protège pas de la condescendance, si humiliante.

Pensez-vous que le milieu artistique défend la diversité ? Est-il représentatif de la diversité sociale, culturelle et de pensée ?

Idéalement, la question ne devrait même pas se poser. Regardons comment cela se passe en Angleterre ou en France depuis une trentaine d’années ; on se bat pour qu’il y ait des Indiens, des Chinois, des Arabes, des Noirs africains sur les plateaux, toutes les origines mélangées. Le théâtre suisse prône l’ouverture mais on ne se rassemble que quand il y a une coupe budgétaire ou une épidémie mondiale. Très bien mais, avec ou sans covid, ce sont toujours les mêmes réseaux qui s’interconnectent et portent les mêmes personnes sur les plateaux. Tant mieux pour elles d’ailleurs, mais n’oublions pas que le théâtre subventionné œuvre avec l’argent public, pas celui qui sort de la poche du metteur en scène. À Genève, il n’y a pas que des Caucasiens dans les acteurs et actrices sur le marché du travail. Les origines de la distribution sont-elles imposées par Pinter ou Shakespeare ? Non, les auteurs seraient les premiers à applaudir les audaces de distribution. Sous la direction du metteur en scène Jean-Yves Ruf, j’ai joué le rôle d’un Irlandais dans Les Fils prodigues… Est-ce que j’ai une tête d’Irlandais (rires) ? Un acteur peut tout jouer, qu’il soit petit, gros, Arabe, Noir, peu importe sa différence… Pourquoi ? Parce que quand on met un pied sur un plateau de théâtre, on pénètre dans un univers à part. Chaque professionnel.le du théâtre sert un art qui le dépasse, bien plus grand que lui. J’appréhende mon métier d’acteur de cette façon, du coup, c’est difficile pour moi de voir des metteurs en scène tirer le théâtre à eux, dans un rapport de verticalité. Je respecte trop cet art pour accepter cela.
Sur scène, il y a un coup de foudre, qui part du plateau, de la terre pour remonter ensuite, pas l’inverse. Nous voyons si peu de vérités sur les plateaux, et tellement de convenances. Les metteurs en scène disent « toi tu prends tel rôle », puis les acteurs disent leur texte. Quand j’ai travaillé avec Mamadou Dioum, nous suivions les préceptes du CIRT (Centre International de Recherche Théâtrale) créé par Peter Brook. Tous les acteurs devaient connaître tous les rôles. Tu avais travaillé un rôle ? Mamadou te l’enlevait et te demandait de travailler un autre rôle. Pourquoi faisait-il cela ? Sans doute pour dissoudre l’ego et révéler l’humain caché derrière. Le personnage ne t’appartient pas, il appartient à l’auteur et au théâtre. Prendras-tu du plaisir dans un rôle plus modeste, même si le public te voit moins ? « Un acteur doit être vu ». Je ne suis pas d’accord. Pour moi, l’acteur doit être…deviné. C’est à la portée de beaucoup de gens de monter sur un plateau de théâtre et de dire du texte. Il est nettement plus compliqué de libérer une énergie qui se déploie entre tous les acteurs, de manière à ce que le public voie et sente des choses qui ne sont pas là. Le théâtre doit faire se déplacer les gens de leur siège, comme s’ils avaient des absences. Cette énergie de jeu n’a rien à voir avec l’origine, la taille, l’âge, le sexe. Quand j’ai vu Laurence Mayor jouer un clochard mystique doté d’une voix d’outre-tombe dans Jachère de Jean-Yves Ruf en 2016, puis que je vois sortir des loges une femme frêle et souriante, je me dis : « Quelle actrice ! » J’ai par la suite fait sa connaissance et celle de son mari, Fred Ulysse, qui m’avait glissé « c’est une bosseuse », mais pas dans le sens où elle travaille son texte. Le texte, comme dirait Serge Martin, est un prétexte au jeu. Il est très précieux, mais une fois que tu l’as lu, il va hanter la construction de son personnage. Par contre, si préalablement à l’apprentissage du texte, tu improvises avec tes partenaires sans t’appuyer dessus, tu ouvres d’autres canaux. Et là, la question des origines ou du physique ne se pose pas. Dans Les Fils prodigues, tous les acteurs mâles avaient les yeux bleus et les cheveux clairs caractéristiques des Irlandais, sauf moi. Qu’est-ce qui justifiait de prendre un Français d’origine algérienne dans cette pièce ? Une seule chose. Une rencontre théâtrale lors d’une semaine de stage. Avec Jean-Yves, comme avec le metteur en scène Gian Manuel Rau, la collaboration est le fruit d’une rencontre humaine. Tous deux sont des artistes esclaves de leur art, ils cherchent à servir la pièce, pas le public. Si le travail de création se fait dans l’absence de public, ce n’est pas pour rien. Le fait que le metteur en scène anticipe la présence du public ou veuille remplir la salle est une distorsion du théâtre. Une équipe entière cherche puis on donne une forme. Le public est libre de venir ou pas. Les gens vont au théâtre, sortent de chez eux, de leur vie quotidienne pour aller dans une autre vie. Ils ne viennent pas voir des nationalités ou origines, mais bel et bien des actrices et des acteurs.  

“Schmürz” Crédit: Mario Del Curto

À Genève, il n’y a pas que des Caucasiens dans les acteurs et actrices sur le marché du travail. Les origines de la distribution sont-elles imposées par Pinter ou par Shakespeare ? Non, les auteurs seraient les premiers à applaudir les audaces de distribution “

Tournage «L’encre et la lumière» © Lucas Millet

Existe-t-il un rôle que vous rêvez d’interpréter?

(temps) – Le rôle d’un fou. Quelqu’un qui a traversé la raison et est allé au-delà. Un être profondément subversif, qui renverse les valeurs tout en ayant d’autres valeurs, fortes. Dans le sens littéral du terme, le fou était le seul qui siégeait à côté du Roi, et souvent le seul auprès duquel le Roi prenait conseil. Ou un rôle de Roi fou, de Prince qui perd la raison. Ou un personnage qui, en perdant la raison, se serait perdu dans les Enfers. Nous traversons une époque où l’on perd vite pied, si l’on n’est pas solidement ancré. Certains ont pris tellement de coups, qu’ils s’en vont, sans que cela se voit. Ils sont apparemment toujours là, mais ils s’échappent ailleurs, dans leur tête. Ils sont libres. Pourtant, à notre échelle, ils sont morts socialement. Il y a surtout des auteurs que je rêve de jouer. À un moment, je disais je voudrais jouer un Shakespeare et mourir.

Existe-t-il des rôles que vous n’auriez pas envie de jouer?

Oui, je n’aimerais pas jouer le rôle d’un Arabe ! (rires) Un jour, un réalisateur m’a appelé pour jouer un Arabe intégriste dans une série. Il y avait 4’000.- balles à prendre : j’ai dit non. Pendant longtemps, on ne voyait pas les étrangers dans les banques, les commissariats ou les services secrets. Les Portugais, les Espagnols, les Italiens, les Arabes, on les montrait à l’usine, sur les chantiers ou maçons. Mon père était un érudit. À son arrivée en France, il a travaillé à l’usine. On lui a tout retiré. Lorsque l’on retire tout au patriarche, aux parents, que leur reste-t-il à offrir à leurs enfants en terme de statut social ? Tu nais là, sans héritage, résilient, et convaincu que tu devras en faire deux fois plus que les autres pour mériter ta place.
Pour développe un rôle, j’ai besoin que l’on me laisse chercher, d’être intégré au processus de création, comme avec Gian ou Jean-Yves avec lesquels tu peux parler dramaturgie. Ils savent où ils sont mais le parcours se créé ensemble. Jean-Yves demande souvent à ses acteurs: « Tu en penses quoi ? ». Il ouvre et tu peux dire tout ce que tu veux. C’est rare. Le metteur en scène est un capitaine, la seule personne à laquelle tu puisses te référer, celle qui te nourrit. J’aime essayer leurs pistes car ce sont des pistes de recherche. Au théâtre, nous sommes à la croisée des chemins, cela part dans tous les sens, on va là puis on revient, alors on essaye autre chose, on y retourne et on continue.
Je vois parfois des acteurs rétifs ; c’est l’ego qui bloque. Cela nous arrive à tous. Un metteur en scène sain n’agit pas contre ses comédiens car il a besoin d’eux pour chercher, en gardant les yeux et les oreilles grands ouverts. Il arrive avec un imaginaire, met l’équipe sur la voie. Les acteurs doivent l’accueillir. Dans une création, il y a l’ingénieur son, le régisseur, l’éclairagiste, la personne qui balaie le plateau, les acteurs, l’assistant, la costumière, etc. Tous doivent être intégrés. Il faut arracher quelque chose de soi pour aller sur un plateau, il faut qu’il y ait du vide. La plupart du temps, c’est rempli d’ego. Le théâtre, ce n’est pas avoir raison ; c’est donner corps et raconter une histoire.

Propos recueillis par Laure Hirsig

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