Théâtre des Osses, théâtre de chair
Il y a 30 ans, le verbe s’est incarné à Givisiez, petite commune de la Sarine. Depuis 2014, Geneviève Pasquier et Nicolas Rossier en perpétuent la force vive, belle et rebelle.
Quand l’une parle, l’autre se tait, attentif. Et réciproquement. Entre Geneviève Pasquier et Nicolas Rossier, l’échange passe par l’écoute, préambule à une dialectique partageuse dont on perçoit le rôle essentiel dans tout projet, toute création commune. Déjà cinq ans qu’ils ont récupéré les clés du Théâtre des Osses, ce lieu des possibles artistiques auquel Gisèle Sallin et Véronique Mermoud ont su insuffler une âme qui est celle du théâtre vrai. Vrai, au sens où l’illusion y supplante l’artifice, la profondeur la surface.
Crédit: Julien James Auzan
Les mots de Corneille, Marivaux ou encore Dürrenmatt se sont glissés entre la Sarine et la Sonnaz. Ceux d’Anne Franck ou de Dominique de Rivaz aussi. Ils y résonnent avec conviction, charriant leur cortège de drames et de rires. Et la population, qui veut en croire ses oreilles tout autant que ses yeux, s’est embarquée à son tour pour découvrir, vibrer, s’amuser et, au final, s’enrichir. Un public “sans a priori”, “ouvert”, comme le relève Geneviève Pasquier. La création d’un prix du public a ainsi permis de poursuivre un dialogue initié dans l’atmosphère conviviale du bar, là où il est possible de croiser les artistes et de prolonger la nuit. Par ce souci d’échange, le Théâtre des Osses semble vouloir faire écho à la dramaturge Marianne Van Kerkhoven quand elle déclare: “Le plus grand atout du théâtre est sans doute son caractère de rencontre vivante, “ici et maintenant”.
Centre de gravité de cet “ici et maintenant”, l’artiste bénéficie à Givisiez d’une attention toute particulière. “La focale, c’est celle-ci, confirme Nicolas Rossier. Les gens qui viennent jouer ici sont extrêmement choyés. C’est quelque chose que nous avions en nous et qui perpétue la philosophie du lieu”.
Si la parole est la chair des Osses, “sa marque de fabrique” selon Geneviève Pasquier, le texte n’est est pas l’unique charpente. Pas question de se métamorphoser en musée. Ni en chapelle, malgré les nombreuses congrégations religieuses qui ont marqué la commune. Nicolas Rossier tient d’ailleurs à se démarquer des querelles en rappelant que le débat se situe moins entre “texte ou pas texte” que dans l’exigence de la qualité. “Depuis que nous sommes là, nous avons monté deux fois des classiques, poursuit-il. C’est vrai que nous devons penser à un public scolaire, à des propositions qui s’inscrivent dans leur programme: en même temps, s’il faut monter du théâtre sans texte, je ne vais pas m’empêcher de le faire. Après, où je suis plus inquiet, c’est par rapport à la disparition de certains métiers”.
Là encore, le Théâtre des Osses revendique son statut de “maison de fabrication”, soucieuse de mettre en valeur les nombreux métiers liés au spectacle. “Dans le même lieu, raconte Geneviève Pasquier, il y a un atelier pour les décors, un autre pour la réalisation des costumes, tout l’outil de la fabrication artisanale du théâtre”. Ces activités de coulisses, ce rapport à la matière même de l’art, ces secrets de fabrication, tout le monde peut y avoir accès. “Ce qui est important pour nous, s’accorde le duo, c’est la transmission d’un savoir-faire”. “On est très en lien avec la classe pré-professionnelle d’art dramatique du Conservatoire de Fribourg, note Nicolas Rossier. Les élèves viennent chaque année en stage d’immersion, pour faire de l’accueil, se rendre compte que le comédien n’est qu’une petite partie de l’équipe. Le fait d’avoir un théâtre de création nous le permet, ça incite à rester ouvert et à englober les nouvelles générations. C’est très pratique, ce n’est pas du discours. On les fait occuper tous les postes et quand ils sortent de là, après une semaine, ils ont pigé le truc”. Un drôle de truc, oui, indispensable et fragile, qui résiste au temps, aux modes et à cette mise à l’encan dont souffrent aujourd’hui certains domaines artistiques.
Une saison verte qui courait dans l’herbe
Voir là où ça va mal. Où ça fait mal. Quand par exemple la planète dit “Stop!”. Le souci de l’environnement ne relève pas du phénomène de mode mais de la nécessité. Que le théâtre s’en empare tombe sous le sens d’un art qui s’est toujours soucié d’interroger le monde, ses excès et son chaos. Dans la saison 2019-20 du Théâtre des Osses, deux créations pointent nos dérives via la littérature. Sur scène, deux duos s’adossent à l’incertitude du temps. Amélie Chérubin Soulières et Aïda Diop (photo) pour “Gouverneurs de la rosée”, de l’auteur Haïtien Jacques Roumain. Et Alexandre Cellier et Yves Jenny pour “Une rose et un balai”, adaptation de l’oeuvre du cantonnier fribourgeois Michel Simonet.
“Le livre de Jacques Roumain date des années 1940, explique Geneviève Pasquier, qui signe la mise en scène. C’est un roman qui parle de la déforestation. Un homme retrouve son village après 15 ans et la terre est complètement asséchée, à cause de la coupe des arbres. Deux clans se querellent, un peu comme dans Roméo et Juliette. Et la seule solution pour ramener l’eau, c’est de les réconcilier. C’est une peu une métaphore de la solidarité, de la prise de conscience”. Quant à “Une rose et un balai”, dont Nicolas Rossier co-signe la mise en scène, il y est question “d’un temps passé où les cantonniers avaient une fonction sociale. Michel Simonet a écrit des petits textes sur sa condition, avec une approche philosophique, presque indienne, et toujours avec de l’humour”.
Ce diptyque écologique se renforce d’une “Charette!”, de Simon Romang et Georges Guerreiro, de deux rois – l’un qui “se meurt” chez Ionesco dans une mise en scène de Cédric Dorier, et l’autre qui a les traits d’Oedipe grâce à Sophocle et Philippe Soltermann – et enfin d’un “Loup des sables” né sous la plume d’Asa Lind. Pour le reste, on vous laisse découvrir les distributions, assez épatantes, sur le site du théâtre: www.theatreosses.ch
Crédit: Julien James Auzan