Julia Perazzini chatouille l’invisible
FATAL(E)S/ACTE VI A part l’amour et la mort, qu’est-ce qui compte vraiment? L’art – le théâtre en particulier – oscille volontiers entre les deux. Laure Hirsig a suivi Eros et Thanatos dans les loges.
Personne ne l’ignore, il est fatal le coup du sort et tout ce qui prend vie, un jour s’évanouit. Cette loi règne sous les projecteurs aussi, qui rendent le plateau à la nuit, une fois le spectacle fini. Éros et Thanatos s’y affrontent ? S’y accouplent ? La confusion règne tant leurs étreintes sont ambiguës. En forces contraires et complémentaires, les deux font la paires et quelques bras de fer, puis restent main dans la main pour mieux sceller nos destins. Vie & Mort – compagnes obstinées – vont telles deux victorieuses jumelles, tour à tour perdre puis gagner, repoussant à jamais la belle. Fin de partie ou partie fine, la mort serait la plus coquine ; celle qui manie les dés pipés de la vanité au moment du dernier lancer.
Photo page d’accueil: Tristan Savoy
Le Souper © Dorothée Thébert
Alors qu’un virus couronné de sa glaçante pugnacité fait tomber les têtes, décapitant nos rêves d’immortalité, nous avançons masqués sur les fils ténus de nos vies. Certains seront coupés le rideau à peine levé : tout juste arrivés, sitôt arrachés au monde des vivants. C’est l’histoire de ce frère aîné que Julia Perazzini n’a pas eu le temps de connaître. Tel Orphée descendu aux Enfers chercher son Eurydice, elle convie le disparu à l’orée de la réalité, pour un Souper chimérique et doux.
Le plateau sera la matrice poétique de leurs retrouvailles, la parole viscérale le remède au poison létal. C’est la voix du ventre qu’elle lui offre. N’est-ce pas dans un semblable cocon qu’ils se sont succédés, sans se croiser ?
Avec sa grâce de biche, Julia prend des nouvelles de l’au-delà et pose, à tâtons, un mot après l’autre. À pas de loup sur la membrane de velours, ou rampant sous ce paysage mouvant, elle avance vers lui avec une infinie délicatesse, jusqu’à le toucher. Jamais Vie et Mort ne s’étaient frottées de si près sous mes yeux. La magie opère sur la nappe-suaire, car les prouesses transformistes de Julia distordent l’espace-temps pour rendre l’invisible palpable. Le pique-nique quantique d’un frère et d’une sœur qui ne se connaissent pas n’a rien d’éthéré. Manger des pistaches, des crevettes et de la mousse qui explose en bouche, rire et dormir, se raconter des histoires, danser et se chatouiller ; voilà les plaisirs simples à rattraper entre morts et vivants.
Dans Hills and Holes déjà, elle fascinait par la métamorphose, empruntant à la performance la souplesse rythmique de son jeu, un voile toujours posé sur la voix, capable d’engendrer une multitude de créatures aux beautés plastiques, parentes parfois des hybrides de Matthew Barney. Quand les figures incarnées par Julia glissent, c’est l’espace tout entier qui mute avec elles, indissociables de l’univers sensoriel qu’elles charrient avec elles. Le feuilleton Fatal(e)s pousse son dernier soupir avec une artiste inspirée.
Crédit: Alexandre Morel
Pensez-vous que la mort puisse s’incarner sur scène?
– J’associe la mort au sommeil et à la peur, deux états qui immobilisent, mais pas de la même manière. J’ai regardé plein de films dont l’objet central est la mort, mais la tentative de représentation me semble toujours un peu un échec, ou très caricaturale. Dans mon travail, j’essaye de retourner l’idée préconçue que l’on s’en fait, pour montrer à quel point elle peut activer au lieu de figer.
L’inspiration vient du besoin de raconter quelque chose. Je collecte des éléments épars ; articles, objets, lectures, j’écris des choses, j’ai des visions, mais pas de sujet prédéfini. À un moment donné, les fragments collectionnés, mis en résonance, font apparaître l’idée. La figure qui synthétise la recherche qui allait déboucher sur la création du Souper, c’était Frédéric, mon frère mort à l’âge de huit mois. Il était l’aîné, je suis la cadette. Il est le premier, je clos la fratrie en miroir, en fin de chaîne. Ni mon grand-frère, ni ma grande-sœur ne l’ont connu. Seuls mes parents l’ont connu dans la vie matérielle. J’ai grandi avec sa photo dans le salon, j’ai vu sa tombe, les larmes de ma mère quand on parle de lui. J’ai ce frère, et je ne l’ai pas…
Le théâtre me donne le pouvoir de transformer la réalité, j’utilise la représentation comme un espace-temps de convocation et d’invocation. D’abord, j’ai pensé le faire incarner par un interprète ventriloque. Très vite, la perspective qu’un interprète incarne ce frère que je ne connais pas m’a mise mal à l’aise. Il m’a semblé plus fort de dialoguer avec l’absent sous différentes formes, dont la voix. Il sera à l’intérieur de moi. J’avais envie qu’à un moment il prenne toute la place, toute la scène pour que je puisse disparaître, et lui se déployer. Je me suis posée la question de la légitimité à faire parler un mort que je n’ai pas connu, grâce à la ventriloquie. J’étais convaincue que son histoire n’appartenait qu’à mes parents, et ai dû m’émanciper de ce tabou.
En utilisant le potentiel d’un théâtre “pauvre”, basé sur la capacité de projection du spectateur, je propose un code simple : « J’ai eu un frère. Il est mort. J’aimerais bien qu’il vienne ici ». À partir de là, je peux ouvrir la perception ; l’esprit convoqué ne se limitera pas à un corps. Certes, je l’humanise à travers mon enveloppe charnelle, mais il voyagera partout dans l’espace. Il me fallait donc une scénographie mouvante, qui se forme et se déforme. Je veux pouvoir agripper le sol, tirer dessus et modeler ce « rien » pour en faire apparaître et y faire disparaître mon partenaire imaginaire. Faire exister l’invisible pour créer le lien avec mon frère en particulier, et avec la mort en général. J’ai eu la vision d’un velours géant. Mon collaborateur artistique Louis Bonard et le scénographe Vincent Deblue m’ont aidée à concrétiser l’idée. Patiné et usé, le tissu semblait d’autant plus “vivant” dans les lumières. Sa couleur, le vert, interdite au théâtre, peut évoquer l’empoisonnement des acteurs, mais est aussi une invitation à regarder en face ce qui fait peur, ce qui est dangereux. En plus je créais à L’Arsenic…
Je m’inspire de Frédéric, mais chaque spectateur peut librement projeter ses propres morts, ou plus amplement ses peurs, manques ou blocages. Il symbolise ce qui est figé à l’intérieur de soi, ce qui tremble en nous.
Dans Au bonheur des morts, la philosophe des sciences Vinciane Despret défend l’idée que les morts font agir les vivants. Les morts n’existent plus dans la matière mais pourquoi rompre toute relation ? Le théâtre permet de dialoguer avec l’autre côté. Au même titre que « je suis Lady Macbeth », je peux dire « toc toc toc, je suis Julia. Je mange, joue et danse avec mon frère sur scène parce que, dans la réalité, je n’ai pas pu le faire». Le dispositif théâtral le fait exister plus intensément que n’importe où ailleurs ; le regard du public densifie sa réalité. Pendant que je joue, cette sensation m’émeut profondément.
On dit que le théâtre est l’Art de l’éphémère. Quels sont vos juste-avant et juste-après la représentation?
– Il m’arrive d’atteindre un tel degré de stress que, vingt minutes avant de jouer, je suis prise d’une subite envie de dormir ; mon corps et mon esprit lâchent d’un coup, sachant que je vais ensuite leur en demander beaucoup. Alors, je vais me brosser les dents puis je comate dans les loges. J’ai longtemps souffert du trac. Avec le temps, j’essaye de démystifier l’acte, pour le relativiser. J’adore atteindre cet état de détente qui me permet d’entrer en scène, comme au supermarché. Cela ouvre de nouvelles possibilités de jeu.
Après – que la représentation soit réussie ou non – j’aime l’impression que nous avons secoué les murs et changé l’air. Même si c’était nul, nous avons traqué l’instant présent ; tentative géniale mais impossible. J’aime autant cette sensation comme spectatrice que comme actrice. J’y vois une façon de mettre en valeur la Vie. Chaque instant est là, mais déjà si vite reparti. Vie/Mort/Vie/Mort… Hop, hop, hop ! Cet équilibre précaire de funambule est fragile et vacillant, comme celui du bébé. On voit la vie et la mort en puissance chez un bébé, moi particulièrement.
Est-ce que jouer c’est investir le néant? Sauter dans le vide?
– En tant qu’interprète, tu sens les pièces dont la construction soutient ton parcours. S’il y a une fondation solide sous toi, tu peux d’autant plus te jeter dans le néant, dans le sens ; te rendre entièrement disponible à l’acte. Tu plonges sans te protéger, te juger ni te regarder, tu te déverrouilles et te jettes positivement dans le vide. Du coup, ce n’est plus effrayant, mais excitant. Parallèlement, les règles de jeu internes permettent de se connecter entre partenaires pour faire ensemble le grand saut.
“J’adore atteindre cet état de détente qui me permet d’entrer en scène, comme au supermarché. Cela ouvre de nouvelles possibilités de jeu.“
Le plaisir de jouer est-il fantasmatique? S’apparente-t-il à une “petite mort”?
– Il n’est pas fantasmatique puisque je vis réellement le temps de la représentation. Par contre, mon état est « modifié » par la présence du public. C’est bien le problème en ce moment ! Dernièrement, j’ai joué dans La Possession de François-Xavier Rouyer, un spectacle présenté une poignée de soirs, avant que les portes du théâtre de Vidy ne se referment. Cela paraît miraculeux d’avoir pu jouer. Les deux premiers jours, je percevais la jauge limitée à 50 personnes comme l’opportunité d’instaurer un rapport doux dans une grande salle. Le troisième jour, je souffrais déjà de ne quasiment pas sentir la grappe de spectateurs, perdus dans le gradin. Le masque ne me dérange pas du tout en soi, mais il étouffe les réactions fines, les petits rires. Les applaudissements de spectateurs éparpillés se perdent. Le rapport aux gens devenait fantomatique. Percevoir les réactions permet de sentir l’omniprésence du binôme vie / mort au théâtre. Le partage sensible avec le public est l’aboutissement de notre travail. Le théâtre se parle de ventre à ventre, de peau à peau, par porosité, il traverse les corps, passe sous le gradin, rampe sous terre et remonte par le plateau.
J’ai été frappée, dès le 1er confinement, de voir fleurir les bourses pour les projets on line. Pourquoi ne pas réfléchir ensemble à des formes covido-compatible ? Elle est là l’urgence ! L’art numérique existe à part entière, les arts vivants aussi. Pourquoi nier d’office le potentiel créatif des arts scéniques ? Élaborons de nouveaux modes de représentation adaptés à la crise sanitaire, mais en vrai, pas derrière des écrans.
Est-ce que vous comprenez que l’on veuille mourir sur scène?
– (rires) Au 1er degré oui, je comprends, surtout si la représentation était cool. J’aime le côté kitsch de tout donner sur scène ; une fin plutôt “marrante” pour l’acteur, mais totalement traumatisante pour les spectateurs. Oui, l’idée de mourir sur scène me plaît ; quelqu’un qui meurt sur scène, c’est quelqu’un qui aurait sans doute continué à faire du théâtre. Sa disparition in situ illustre le constant rapport entre vie et mort dont nous parlions précédemment. Vouloir mourir sur scène, c’est… ne pas vouloir mourir. Tu vas sur scène pour danser contre la mort, alors mourir là, c’est un fuck à la mort. Ceci dit, personnellement, je ne sais pas si je veux mourir sur scène. Peut-être pas… J’aimerais mourir avec des proches qui me tiennent la main.
Au sens figuré, j’ai déjà joué comme si c’était la dernière fois. J’aime cet absolu. La scène est l’un des lieux imprenables de liberté et de transcendance. J’essaye toutefois de guérir de mon esprit kamikaze. J’ai perdu l’audition d’une oreille à cause d’une chute sur scène… Cet accident a changé mon rapport aux autres, au partage, à l’écoute, au-dedans-dehors.
Idéalement, il faudrait concilier vivre bien et jouer comme si on donnait tout. Cela implique une souplesse mentale, physique, émotionnelle. Les soirs où il n’y a pas eu assez de transfert d’énergie avec les gens, où je n’ai pas atteint le degré de détente nécessaire, je sors avec la désagréable impression que je pourrais tout refaire autrement. Ce n’est pas en scène que je meurs dans ce cas, mais je dépéris littéralement après : je meurs en coulisses. Il m’arrive d’être inconsolable ; c’est pathétique… J’essaye de transformer cette quête d’absolue disponibilité en moteur pour remonter sur scène et doser l’exigence et la douceur à avoir avec moi-même. Je réfléchis aussi: comment recevoir les commentaires extérieurs, du public, des journalistes, de l’entourage? Comment développer ma pratique d’interprète? Toutes ces questions importantes sont délicates à débattre au sein d’une équipe de création, mais nous pourrions ensemble tenter de dépasser le besoin d’être rassurés sur la pièce en train de se faire, afin d’être critiques positivement sur l’artistique en friche. Dans les solos où tu n’as pas de metteur.e en scène, comment se relancer seule ? Il faut être un peu sorcière, un peu conspirationniste avec soi-même et avec la pièce. Je n’y avais jamais autant pensé… Lorsque j’ai joué King-Kong Théorie de Virginie Despentes, mis en scène par Emilie Charriot, il me tenait à cœur de transmettre le message cru et frontal porté par l’auteure, sinon quelle catastrophe politique. En plus, il y a sept ans, il n’y avait pas encore eu #metoo. Parler du viol en scène, c’était compliqué. J’avais d’autant plus l’exigence de ne gâcher aucune représentation.
“En Suisse, on ne m’a pas interrogée sur l’artistique depuis des années”
Comprenez-vous que l’on soit prêt à mourir pour ses idées? Quel pourrait-être votre fer de lance ou votre cheval de bataille ?
– Oui, je comprends sans savoir si j’en serais capable. Mon premier souvenir de perplexité face au comportement humain remonte à l’enfance. J’ai 5 ou 7 ans, je viens de voir le film inspiré par La case de l’oncle Tom, qui aborde l’esclavagisme peu avant la guerre de Sécession aux États-Unis. Après cela, je passe plusieurs après-midis sur mon lit ou à regarder par la fenêtre sans aucune envie de parler. Je découvre le silence. Cette histoire a renversé quelque chose et je ne sais plus comment faire avec la réalité. Il me semble essentiel de débusquer le racisme systémique, de nous mettre face à nos contradictions.
L’un des autres sujets qui me touche est la condition féminine. Dès lors que l’on est conscient.e et alerté.e qu’il y a un problème, on en repère les manifestations partout, tout le temps ; on descend toujours plus bas dans le puits d’Alice au pays des merveilles. Le sexisme – comme le racisme – persistent et se logent jusque dans les détails, qui en disent aussi beaucoup sur l’état de notre société. J’ai remarqué que la question de la légitimité assaille davantage les femmes, ce n’est pas pour rien ; nous sommes dans une société encore très patriarcale. Moi aujourd’hui, j’ose parler d’un projet mais j’ai fait tout un chemin.
Ça me fait plaisir que tu me questionnes sur mon travail, parce qu’en Suisse, on ne m’a pas interrogée sur le fond, sur l’artistique, depuis… des années. En France, oui. La dernière fois que des journalistes m’ont questionnée en Suisse, c’était pour sonder mon avis sur la place des femmes artistes dans le théâtre romand, sur le fait que je suis une femme qui créé des pièces. En somme, exclusivement des questions sur le fait que je suis une femme mais aucune sur ce que je fais. En plus, les choses les plus virulentes et radicales que j’ai dénoncées ont été retirées de l’article.
En réalité, tous les rapports de domination me rendent dingue et j’essaye d’avoir de l’impact à mon échelle pour les déjouer. Je comprends qu’on puisse aller très loin et qu’on prenne des risques pour une cause. Le confinement nous permet d’imaginer ce que nous ferions dans une situation extrême, en temps de guerre par exemple. Vas-tu aider ta vieille voisine, même si tu n’es pas censée le faire ? Vas-tu faire des réserves de bouffe, parce que tu as peur de crever ? Serais-tu prêt à désobéir à l’ordre établi par intégrité ? Récemment, je suis allée à la manifestation contre la loi qui interdit de filmer, diffuser et commenter des images impliquant des policiers. Si cette loi passe, le montant des amendes va décourager toute dénonciation de dérapages violents dans les opérations policières. Les gouvernements profitent des moments de confusion pour faire passer des lois liberticides ; cela m’inquiète et me révolte. Mais, comme j’ai perdu l’usage d’une oreille, je n’ose pas aller en première ligne dans les manifs, je ne veux pas perdre l’autre. C’est peut-être l’âge ou la sagesse mais je me protège et cherche d’autres stratégies de résistance que l’exposition directe de mon corps au danger. Le pouvoir de l’imaginaire – intéressant à investiguer en cette période – permet de sortir de l’immobilisme sans devenir un corps-écran.
Enfin, j’ai envie d’agir pour réhabiliter nos morts et nos mortes. Le Souper me tient à cœur parce que je suis choquée qu’on ne puisse regarder que furtivement le corps de la personne décédée avant de la mettre en terre. Le passé n’est pas figé, aussi traumatique soit-il, c’est trop triste de le laisser péter tout le reste de la vie. Ne restons pas esclaves de ce qui nous a fait mal. Dans L’Éloge du risque, la psychanalyste et philosophe Anne Dufourmentelle dit que le présent ne change pas seulement ton futur mais aussi ton passé. Je trouve cette idée géniale, mais comment faire ? Le travail sur mon frère m’a permis de mieux comprendre, de me mettre à table avec mes peurs et ma tristesse. Peut-être ont-elles encore quelque chose à te dire. Elles te parlent autrement quand tu les invites à souper et replonges avec elles dans le labyrinthe du passé. Ce face à face permet de remodeler le passé en profondeur et te libère de ce qui te hantait. Quand les médecins m’ont annoncé que la perte de l’audition de mon oreille était irréversible, ce fut terrible. Qu’il s’agisse d’un handicap, d’un deuil, d’un trauma, que fait-on avec ça ? Le théâtre, et la fiction en général, détiennent le pouvoir de transformation.
Le plateau, Enfer ou Paradis?
– Les deux. Oui, ça dépend comment tu poses le pied dessus. Cela peut être le paradis et l’enfer tour à tour durant une même représentation. C’est le paradis quand je sens le lien avec le public, mes partenaires et la fable. Cette triangulation harmonieuse, souple et ouverte apporte tellement de liberté.
C’est l’enfer sournois de la mentalisation quand j’ai une espèce de petite Julia à côté de moi qui regarde et juge. Au théâtre, tu n’es pas devant un écran de télévision ou d’ordinateur. Tu as besoin de ressentir directement les gens. L’enfer, quand tu ne les atteins pas, c’est l’impression d’absence totale de dialogue, avec les spectateurs ou entre partenaires de jeu. Quand cela arrive, j’ai envie de faire un truc extrême pour briser le réel, un acte déclenché par une sorte d’instinct de survie. Je vais chercher à recréer de la tension, par exemple en laissant exprès tomber un accessoire pour que cela réveille le public et me reconnecte à ma propre fragilité et au présent. Après, nous pouvons continuer la représentation ensemble. Mon côté fusionnel me joue des tours ; j’ai tellement envie de toucher les gens. Cette connexion donne sens à ce temps partagé de la représentation. Le public y participe autant que moi, pas de la même manière bien sûr, mais c’est ensemble que nous créons cette troisième entité. Les spectateurs regardent ce qui, sans eux, n’existerait pas. La texture de la pièce change quand change leur regard. Le public créé de l’inédit. J’essaye d’imaginer des dispositifs et d’instaurer un rapport au public pour que l’inédit puisse exister.