Un roi en son Palais d’Avignon

Chaque année, une poignée de compagnies suisses tente la grande aventure d’Avignon. La fascination pour le Festival ferait presque oublier ses modestes débuts.

Monter une tragédie de Shakespeare dans la cour du Palais des Papes? Comme les conseillers municipaux d’Avignon restent sceptiques, le jeune homme se lève pour tenter d’emporter la décision. « Nous n’aurons pas besoin de grand chose, plaide-t-il. Mes comédiens et moi acceptons de jouer gratuitement. Faites-nous confiance ».
Le jeune homme s’appelle Jean Vilar et parle avec fièvre, à la fois timide et sûr de sa cause. Face à lui, les édiles avignonnaises hésitent. D’autant plus qu’à cette époque, mai 1947, personne ne le connait. Malgré tout, cette chance qu’il réclame avec la foi du charbonnier, on la lui donne. Ainsi que 400 000 francs de l’époque – soit 20 000 euros! – pour couvrir les premières dépenses.
Stimulés par l’un des leurs, Gaston Marcy, les commerçants veulent bien mettre la main à la poche. Pour l’édification de la scène à l’intérieur du Palais, ce sont les soldats du 7e génie qui s’en chargent. Il manque des fauteuils? On réquisitionne des camionnettes pour faire le tour des cafés et emprunter des chaises. Des particuliers acceptent de loger gratuitement les acteurs, dont certains ne mangent pas tous les jours à leur faim. Et le Festival a lieu.

Sur des costumes taillés dans de la toile de sac, Léon Gischia et Mario Prassinos jettent des couleurs somptueuses. « Il y avait un petit inconvénient, se souviendra Jean-Paul Moulinot, un proche de Jean Vilar. Durant les répétitions, les costumes n’étaient pas secs et nous sortions de là-dessous bariolés comme des zèbres ».
Hélas! les prévisions les plus pessimistes sont dépassées. Ce premier Festival est une catastrophe, avec une ardoise de 2 millions de francs (100 000 euros). »Nous devions de l’argent partout, racontera Gaston Marcy. Je n’osais plus sortir en ville! »

Du théâtre en plein air
« C’est en 1939, alors que je trainais mes brodequins de 2e classe le long du Fort Saint-Jean, à Marseille, confiera plus tard Jean Vilar à un journaliste, que m’est venue la première idée d’un théâtre de plein air au Palais des Papes à d’Avignon. Je l’avais visité avec mes parents. Ses murailles énormes, ses arcatures délicates m’avaient impressionné. Et par cette nuit marseillaise, devant ces autres vieilles pierres assombries par le black-out, c’est l’image du Palais des Papes qui, invinciblement, se dessinait. Je le voyais ressuscité par des acteurs jouant Shakespeare, Corneille, Molière, Hugo… »
Vilar est né à Sète, dans le quartier du Marché. C’est là, entre la Bible de sa famille protestante et les corsets de la boutique paternelle, qu’il grandit. Pour se procurer de l’argent de poche, il devient, tout en préparant ses études, violoniste dans un orchestre de jazz. Plus tard, son bac en poche, il monte à Paris où il présente, l’année suivante, son premier certificat de licence de lettres. Le sujet en est: « La tradition cornélienne dans le théâtre français ». Pour lui, c’est du pain béni ! Pourtant, il échoue. Mais Corneille devait un jour rendre justice à Vilar.
Lors d’une reprise du Cid, à Avignon, déjà accablé par un travail intensif, Jean Vilar est terrassé par un ulcère à l’estomac. On le transporte d’urgence à la clinique. Chaque soir, avant la représentation, le long des ruelles borgnes, deux infirmières l’amènent sur une civière et le font entrer au Palais par une porte dérobée. Ses camarades l’habillent, le maquillent et le poussent sur la scène. Derrière un pilier, un médecin attend, prêt à intervenir.

L’élève de Dulin

Quand il écrit une lettre, Jean Vilar aime faire suivre son nom de la formule:      « ancien élève de Dulin ». Il est surveillant à Sainte-Barbe lorsqu’il rencontre le grand acteur au théâtre de l’Atelier. Il s’inscrit à ses cours. Mais, trois mois durant, paralysé par la peur, il ne peut dire un mot. Pour économiser ses maigres subsides, il couche dans les coulisses sur des rouleaux de décors. Jusqu’au jour où il dispose enfin d’un vrai lit: Dulin donne alors “Volpone” à l’Atelier et il fait dresser un lit sur la scène: une couche en trompe-l’oeil, très étroite. Chaque soir, Vilar est autorisé à s’y coucher. Au bout de quelques semaines, “Volpone” quitte l’affiche et Vilar retourne à son tas de guenilles.
A l’école de Dulin, on apprend un métier que l’on aime. « On n’imagine pas, dira Vilar, ce qu’a pu représenter pour nous, à vingt ans, l’Atelier de Dulin. Pour certains, il ne fut jamais question d’aller chercher ailleurs un autre rôle, un autre cours, un autre maître ».
Vilar va ensuite monter “La Danse de Mort” de Strindberg puis, en 1943, créer sa propre troupe et mettre en scène “Orage”. Les deux premières ont lieu dans l’appartement d’un ami puis la pièce est hébergée par Le Théâtre de Poche – rien à voir avec celui de Genève! – Vilar rencontre ensuite Avignon et l’enchantement est total. Pour lui, l’échec importe peu. Il vient de faire une découverte. Il sent près de lui, enfermé entre ces murs centenaires et cette architecture troublante, ce public venu là non pour critiquer mais pour aimer (ce qui a bien changé depuis…)
Un soir, en 1951, comme Vilar écoute, tapi derrière la scène selon son habitude, les applaudissements du public qui salue la fin d’un acte, on lui apporte une lettre. Le cachet officiel fait penser à une mauvaise nouvelle. Il l’ouvre. Le Ministère des Beaux-Arts lui demande d’accepter la direction du Théâtre National Populaire. Le rêve qu’il a caressé dans la nuit d’Avignon se réalise. Mais l’immense salle du palais de Chaillot qu’on lui offre est un cadeau empoisonné. Le cahier des charges est écrasant.
Peu importe, Jean Vilar exulte: il a son théâtre et son plateau. Tant pis si l’acoustique est mauvaise et si les gens n’y sont jamais venus. Il supprime les rideaux, condamne la herse, installe des projecteurs. Une nouvelle aventure commence. Pour autant, Jean Vilar ne renonce pas au Festival d’Avignon. Il en sera le directeur jusqu’en 1971, date de sa mort. Devenu une manifestation incontournable, le festival est aujourd’hui dirigé par Olivier Py et a réalisé pas moins de 151 000 entrées en 2018. On est loin des 4818 spectateurs de 1947 !

Les Suisses sur le pont

On oubliera l’archaïsme de son intitulé, qui fleure bon le régionalisme ou… le bobo parisien ! Crée en 2016, le projet « Sélection suisse en Avignon » s’est fixé pour objectif d’attirer l’attention des programmateurs, (leur nombre est toutefois en baisse depuis 2011) sur le travail des compagnies helvétiques. Il permet également à ces dernières d’élargir leur réseau et de renforcer leurs compétences en matière de diffusion. Bref, un coup de pouce bien utile dans la jungle du Off qui, en 2018, a proposé pas moins de 1538 spectacles (il y en avait une quarantaine dans les années septante!). Cette pléthore de propositions se double d’une inflation des prix des locations, sans compter les horaires impossibles et la concurrence des producteurs parisiens qui investissent de grosses sommes sur des comédies grand public. Autant dire que ce n’est pas gagné pour nos petits Suisses et beaucoup, qui étaient partis la fleur aux dents, reviennent désillusionnés. S’il est trop tôt pour juger de l’impact de « Sélection suisse en Avignon », l’initiative a pour mérite d’exister et de permettre à une poignée de spectacles de bénéficier d’une logistique professionnelle et d’un soutien financier. Pour en savoir plus : http://www.selectionsuisse.ch/fr/

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