Les festivals sont-ils solubles dans le Covid?

Qu’est-ce qui caractérise un festival? La question se pose alors que, face à la pandémie, certains organisateurs renoncent tandis que d’autres s’obstinent, réinventent, rusent parfois pour prolonger la fête.

Sculptures textiles Anne Bothuon © Lionel Chiuch

« En huit ans d’exercice, je me suis pour la première fois demandé ce qu’était un festival et à quoi il servait ». Faite à la journaliste Katya Berger, l’étonnante confession émane d’Emmanuel Cuénod. Dans l’entretien qu’il accorde au quotidien La Tribune de Genève, le directeur du GIFF (Geneva International Film Festival) confirme que la manifestation se déroulera bien du 6 au 15 novembre prochain à Genève mais que, au regard de la crise sanitaire, il n’y aura pas de lieu central, pas de bar et, en toute logique, pas de soirées festives.

Au-delà des contraintes drastiques qu’impose le Covid aux organisateurs de festival, c’est bien dans leur identité même que ces derniers sont touchés. Car qu’est-ce qu’un festival qui devrait renoncer à l’essentiel de son caractère festif ? Passer la convivialité en pertes et profits ? Un festival qui, finalement, n’en porterait que le nom ? C’est bien à ces questions quasi existentielles que sont aujourd’hui confrontés les organisateurs de ce type de manifestation.

Il y a une quinzaine d’années, l’essayiste Philippe Muray déplorait l’effacement des frontières entre temps festif et temps non-festif, conchiant l’univers “hyperfestif” et ses apôtres. Il considérait notamment que trop de festival tue la fête “authentique”, aus sens où il l’établit en norme. S’il était encore de ce monde, sans doute que celui qui fut qualifié de “nouveau réactionnaire” se réjouirait de constater qu’un malin virus menace la “festivite” dans son essence-même. Pourtant, comment ne pas regretter l’époque où l’on pouvait se côtoyer, débattre, partager librement autour d’un mode d’expression artistique? Car s’il fait de tout fête, parfois à l’excès, le festival favorise autant le rapprochement des idées que celui des corps. Il “brasse” les hypothèses. Donne à voir et à s’émouvoir. D’où, face aux contraintes sanitaires, la difficulté d’en préserver l’esprit. Pour y parvenir, chacun bricole des alternatives qui n’empêchent pas la frustration.  

En août dernier, le festival de Locarno a ainsi opté pour une édition hybride : les contenus étaient disponibles aussi bien en salle qu’en ligne. Exit en revanche la compétition officielle et la retrospective tandis que la Piazza Grande restait vide. Pour Lili Hinstin, sa désormais ex-directrice artistique, il s’agissait de « s’adapter » plutôt que de « renoncer ». C’est cette dernière option, ou plus précisément un             « report », qu’a choisi le NIFFF à Neuchâtel. « Le maintien du festival dans son format initial est devenu inenvisageable au vu de la situation sanitaire actuelle et de l’impact de celle-ci sur l’industrie cinématographique », ont expliqué les organisateurs dans un communiqué. A la place de la manifestation, les internautes ont pu acheter des films en ligne ou suivre une émission quotidienne sur NIFFF TV. Même sanction et solution quasi identique pour le Festival international de Film de Fribourg (FIFF) : annulation avec un redéploiement partiel via des séances spéciales et des diffusions sur internet.

Tous sur la Toile!

Profitant de la brève embellie qui a suivi le confinement, le Festival du film français d’Helvétie (FFFH), dont la 16e édition s’est tenue à Bienne en septembre dernier, a pu se dérouler à peu près normalement, même si le port du masque et la distanciation physique en ont sérieusement entamé l’aspect « festif ». Idem pour le Zurich Film Festival qui, cette année, s’était donné pour devise : « Le virus marque notre quotidien, mais il ne le domine pas ». Une affirmation qui a valeur de vœu pieux et que semble vouloir contrarier le regain de la pandémie. Rien, en effet, qui puisse inciter à l’optimisme. C’est donc l’incertitude qui présidera aux prochaines éditions du Black Movie Geneva Film Festival (22 au 31 janvier 2021) ou encore du FIFDH (mars 2021). Ce dernier, sous l’impulsion de sa directrice Isabelle Gattiker, avait d’ailleurs rapidement pris les devants cette année en « imaginant en 48 h une nouvelle version du festival » via un Programme 2.0 (avec notamment des débats et entretiens visibles en vidéos).

Car si chaque festival est contraint de se « réinventer », c’est bien souvent par le biais de la Toile. Un « pas de côté » virtuel que peut se concilier l’image mais dont les arts scéniques, qui exigent un rapport direct et immédiat avec l’objet artistique, n’envisagent qu’avec une légitime réticence. Là encore, quelques festivals ont pu se glisser dans la fenêtre d’accalmie. Mais au prix de quelles concessions? A Genève, le Festival de La Bâtie a tiré son épingle du jeu, malgré des jauges réduites de moitié ou d’un tiers. Une dizaine de concerts et de soirées ont toutefois été annulés. Surtout, chaque spectateur a dû se soumettre aux exigences de la traçabilité. Même si on en mesure la nécessité, on voit bien la contradiction qu’il y a entre un secteur artistique prônant la liberté (de penser, de circuler, de créer….) et l’établissement de fichiers. 

En France, Olivier Py, qui après bien des atermoiements s’était résolu à annuler le Festival d’Avignon, vient d’annoncer une “Semaine d’art” qui se déroulera du 23 au 31 octobre dans la Cité des Papes. Certains spectacles déprogrammés, dont ceux de Jean Bellorini ou encore le Raoul Collectif, pourront ainsi rencontrer le public. Une manière de ruser avec la fatalité puisque “La semaine d’art” était le premier nom donné en 1947 par le Maire Georges Pons et Jean Vilar à l’événement qui allait devenir le Festival d’Avignon. 

Satisfaisantes ou pas, toutes ces intitiatives ont pour objectif de continuer d’exister en temps de Covid-19. La question est: jusqu’à quand? 

Lionel Chiuch

Crédit: LCh