Comédien.ne,   ce jeu d’enfant

Pas de doute, les enfants ont du talent : celui de l’enfance. Pour le reste, quand il s’agit d’interpréter un personnage, les choses deviennent plus complexes. D’où des carrières parfois très éphémères, même si certain.e.s parviennent à tirer leur épingle du « jeu ».

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1938. Ça turbine sec dans la tête de Louis B. Mayer, le second M de la triade MGM. Blanche neige et les sept nains  vient de faire un carton chez Walt Disney. Une histoire pour enfants, c’est bien, mais c’est encore mieux avec des enfants dedans. Justement, Le Magicien d’Oz, best-seller pour têtes blondes publié en 1900, raconte l’histoire d’une petite fille qui en voit de toutes les couleurs pour passer de l’autre côté de l’arc-en-ciel. « Banco ! » se dit le malin Louis B. Mayer, qui ignore encore dans quelle galère il s’embarque

Après de multiples péripéties et bien des changements de scénaristes, arrive l’heure du casting. La petite Dorothy du livre a 6 ans, on la remplace par une gamine de 15 ans, Judy Garland. Pour commencer, on lui refait le nez et les dents. Ce qui n’empêche pas le réalisateur Victor Fleming de lui balancer une gifle mémorable pendant le tournage. Ce n’est que le début du calvaire. On lui impose un corset, un régime d’enfer et on la juche sur d’improbables chaussures rouges à paillettes. Pour qu’elle tienne le coup, on la bourre d’amphétamines. Et comme si ce traitement ne suffisait pas, elle se fait harceler sexuellement par un gang de Munchkins à la libido débordante. Triste constat: le conte de fée, c’est pour les spectateurs, pas pour la jeune comédienne.

La vraie enfant star de l’époque, de toute façon, c’est Shirley Temple. A 10 ans, avec sa bouille ronde et ses boucles d’or, elle a déjà pas moins de 40 films à son actif ! On lui a proposé le rôle de Dorothy, mais elle est déjà engagée par un studio concurrent qui refuse de la céder à la MGM. « Sois mignonne et tais-toi » semble être la devise de ses employeurs. « Réputée comédienne docile, idéale à diriger, partenaire merveilleuse pour les acteurs adultes, (Shirley Temple) incarne idéalement la violence figurative du cinéma hollywoodien classique qui, sur le modèle d’un Lon Chaney martyrisant son corps au service du cinéma, transformait les freaks en enfants et les enfants en freaks », constatera bien plus tard l’historienne du cinéma Jacqueline Nacache.

Faire des monstres avec des enfants, c’est essentiellement ce à quoi s’est employé le cinéma – notamment américain – pendant la quasi totalité du XXe siècle. De la chair fraîche bon marché pour remplir les caisses. Celles des studios ou celles des proches. Même Jackie Coogan, le Kid de Charlie Chaplin, qui a pourtant empoché 4 millions de dollars de l’époque, s’est fait gruger par sa mère et son beau-père. Elizabeth Taylor connaitra le même genre de déboires, sans parler, plus près de nous, de Macaulay Culkin (Maman, j’ai raté l’avion!) qui mettra un terme à sa carrière cinématographie à 14 ans pour ne plus dépendre d’un père avide d’argent. Quoi qu’il en soit, côté plateaux, la direction d’acteur.trice.s enfant a beaucoup évolué au cours des dernières décennies. Notamment grâce à François Truffaut qui, dès la fin des années 1950, s’enthousiaste pour le tout jeune Jean-Pierre Léaud. « La compagnie des enfants me plaît énormément, je m’amuse toujours avec eux et je fais en sorte qu’ils s’amusent avec moi, explique alors le cinéaste. En tant que cinéaste, les filmer est une chose qui ne me lasse pas. On ne s’ennuie jamais quand on tourne avec des enfants. Leur sensibilité, leur pudeur vous interdit d’en abuser pour les besoins d’un tournage. /…/ Tout ce que fait un enfant sur l’écran, il semble le faire pour la première fois, et c’est ce qui rend tellement précieuse la pellicule consacrée à filmer de jeunes visages en transformation ».

La part du mimétisme

Dans son essai L’enfant acteur (Les Impressions Nouvelles, 2012), Nicolas Livecchi se demande toutefois si l’enfant « fait davantage preuve de « naturel » que l’adulte ? ». Et de s’interroger sur « la part de mimétisme qui intervient dans son jeu » avant de rappeler que la question du jeu du jeune acteur « est incontournable puisque l’étudier c’est aussi s’interroger sur les fondements de l’art de l’acteur cinématographique ». L’enfance de l’art, en quelque sorte. C’est que la manière de diriger de jeunes acteur.trice.s réclament non seulement une bonne connaissance de la réalisation – ou de la mise en scène – mais aussi un grosse dose de pédagogie. « Il faut créer un équilibre entre la complicité, l’attention, la générosité et l’autorité. Je sous-estimais tout cela avant le tournage et heureusement car sinon je n’aurais jamais fait le film » , relève ainsi Céline Sciamma, la réalisatrice de Tomboy (2011). « Parce que les enfants sont dans une énergie qui comprend de l’imprévu, je voulais une pensée forte de la mise en scène ».

Même approche de la part de Jacques Doillon qui, en 1996, crée la polémique à Venise avec son film Ponette. Victoire Thivisol, 4 ans, y interprète une fillette confrontée à la mort de sa mère. Le réalisateur se fait alors traiter d’irresponsable par la presse italienne. « Quand pour Le Voleur de bicyclette, De Sica voulait obtenir que son comédien pleure, il lui approchait une cigarette de la peau, s’explique Jacques Doillon. Que vous dire sinon que je ne fume pas et que je ne martyrise pas non plus les petites filles de quatre ans ? […] On ne contraint pas Victoire, on ne la mate pas. Elle m’avait suggéré : quand je ne serai pas très bien, tu pourras m’engueuler mais pas trop fort. Tout, entre nous, est passé par la confiance et la négociation. Lorsque Victoire n’est pas d’accord, je le sais : elle m’appelle Jacques Doillon. »

Jacqueline Nacache, encore elle, affirme pour sa part que «  l’acteur-enfant est ce par quoi l’éthique vient à la direction d’acteur. Car il entretient, plus encore que l’acteur adulte, un rapport naturellement trouble avec la mimesis, à la fois totalement en elle (dans le sens le plus restreint : il peut imiter, reproduire, et ce faisant convaincre) et en dehors d’elle : il ne peut jouer et représenter, surtout s’il est très jeune, qu’au plus près d’une situation de vérité. D’où le doute possible : dirige-t-on un bambin, ou lui fait-on violence, en lui dérobant ce qui a pour lui l’intensité du réel ?».

Poser la question, c’est déjà peindre le tableau en noir. Et passer sous silence l’enrichissement personnel qu’un enfant peut tirer d’une telle expérience, qu’il s’agisse de cinéma ou de théâtre. Jouer Shakespeare à 9 ans (Le Conte d’hiver) peut être une formidable entrée en matière dans l’univers du barde anglais et, partant, dans la littérature. Côtoyer des comédiens professionnels, se connaître à travers l’autre, saisir le sens de ce qui se joue, explorer un texte… tout participe de la construction de soi. Et Emma Watson, pour ne citer qu’elle, ne donne pas le sentiment d’avoir été traumatisée par la saga Harry Potter (où elle a débuté à l’âge de 10 ans). Une fois encore, tout est question d’entourage familial, de tempérament et de… législation ! La loi, en cadrant strictement l’emploi des très jeunes comédien.ne.s, veille en effet au grain. Il est possible, oui, de suivre le chemin de briques jaunes sans tomber sur des magiciens tordus ou de vilaines sorcières…

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Vidal Arzoni, naissance d’un talent

« Vidal Arzoni est un enfant remarquablement doué qui brille dans de nombreuses scènes clés ». « Vidal Arzoni, le plus jeune du film, dont la tendresse contraste très bien avec son émotion et sa puissance scénique » « Vidal Arzoni pétille de personnalité ». « Le petit Vidal Arzoni est la révélation du film ». Etc. C’est peu dire que la presse n’a pas tari d’éloges après la prestation de Vidal Arzoni dans Pearl, film d’Elsa Amiel sorti en 2018 et présenté à la Mostra de Venise la même année. Le jeune comédien avait tout juste 7 ans quand il a campé le personnage de Joseph. Aujourd’hui il en a 10 et boucle le tournage du nouveau film de Julien Rambaldi, aux côtés notamment de Léa Drucker et Ahmed Sylla. On parle de ce jeune phénomène avec son papa, le comédien et metteur en scène genevois Elidan Arzoni.

Vidal Arzoni (ici, dans le film Pearl) : “J’aime ce métier parce qu’on fait de belles rencontres, on s’amuse avec les gens et on apprend des choses, par exemple à ne pas être timide. Il y a une sorte de liberté, on sort un peu de notre vie de tous les jours. Et il y a la surprise de découvrir le film une fois monté et de se voir en grand sur un écran dans une belle histoire”

L’attrait de Vidal pour le métier de comédien est-il directement issu de son environnement familial?

Il est né « dedans », comme on dit et il a le jeu dans le sang. Mais Vidal est également très cinéphile : il a une véritable passion pour le cinéma.

Est-ce que vous l’avez encouragé dans cette voie ?

L’annonce du casting pour son premier film, Pearl d’Elsa Amiel, qui lui a ouvert les portes pour les suivants, a été trouvé par sa maman Camille Bouzaglo (ndlr : elle-même comédienne). Elle pensait que le rôle correspondait à Vidal et comme il lui avait fait part de son envie de jouer dans des films, elle le lui a proposé. Mais nous ne lui avons jamais rien imposé.

Qu’est-ce qui, selon vous, fait la différence entre un enfant qui, naturellement, « joue », et un autre réellement doué pour ce métier?

Pour ce qui est du cinéma, il s’agit de quelque chose que l’on ne peut pas maîtriser : un certain magnétisme, une cinégénie, un naturel inné ainsi qu’une intelligence instinctive du jeu et des situations. Et puis la caméra aime certains acteurs plus que d’autres. C’est également valable pour les enfants.

Avez-vous donné des conseils à Vidal ? De quelle sorte ?

D’être professionnel en toute occasion. D’arriver texte su et d’être au clair avec les enjeux de chaque séquence à tourner. De ne surtout pas « jouer », de ne pas vouloir faire des choses mais d’être le plus vrai possible. D’être flexible et de se laisser diriger. D’être pleinement là, dans l’instant. De faire avec ce qui vient, dans la séquence en train d’être tournée mais aussi dans la vie. De ne pas se mêler de ce qui ne le regarde pas sur le set. De ne jamais se monter la tête, de rester humble, de garder les pieds sur terre, d’être ouvert et sympa avec tout le monde. Et puis, très important, de savoir dire non à des projets, des scénarios et des rôles qui ne lui conviennent pas. Mieux vaut ne pas tourner que de tourner dans quelque chose où il ne pourrait pas s’épanouir humainement et artistiquement.

En tant que metteur en scène, avez-vous dirigé des enfants et en quoi se caractérisait cette direction d’acteurs enfants ?

J’ai dirigé ma fille Luna Arzoni quand elle avait 8 ans dans La Leçon de Ionesco que nous avons joué ensemble au Théâtre Alchimic en 2011. Mon approche avec les enfants n’est pas très différente de celle que j’ai avec les adultes. A cette exception près que l’on peut travailler plus de temps avec des adultes qu’avec des enfants. Mais pour ce qui concerne la préparation de Vidal pour les tournages, c’est très différent puisqu’il est dirigé par quelqu’un d’autre. Ma femme et moi intervenons simplement en tant que coach pour le préparer et l’aider. C’est d’abord sa maman qui lui lit le scénario de multiple fois et lui ouvre son imaginaire. Il retient ainsi les dialogues tout naturellement mais en restant neutre afin que le/la réalisateur.trice puisse avoir du champ pour le diriger. Puis, lors du tournage, puisque c’est tourné dans le désordre, il s’agit à chaque fois de recontextualiser et de lui rappeler les enjeux de chaque séquence. Enfin, l’important est également le rythme de vie, faire attention de ne pas tomber malade, bien manger, bien dormir pour être en forme et détendu, ne pas avoir des comportements à risque…

Vous mêmes, vous avez débuté très tôt. Qu’est-ce qui vous a mis le pied à l’étrier ?

Ma mère était cantatrice d’opéra dans un théâtre germanophone de répertoire (plus tard au Grand Théâtre de Genève) qui programmait à la fois des ouvrages lyriques et dramatiques. Comme elle ne voulait pas que j’aille à l’école car elle estimait que cela abrutissait les enfants pour en faire des êtres formatés – elle a écopé d’une peine de prison avec sursis pour cela – , je n’ai pratiquement fait qu’assister à des répétitions et des représentations pendant la majeure partie de mon enfance. Et dès qu’il y avait un rôle à chanter ou à jouer, on m’engageait…

Comment perceviez-vous alors le métier de comédien ?

Comme quelque chose de très sérieux qui donne à la fois du plaisir à celui qui le pratique et au public auquel l’acteur.trice se livre. J’ai toujours pensé que le fait d’être sur une scène ou devant une caméra était aussi important que d’être dans la vie.

Pensez-vous qu’il faut avoir ce que l’on appelle la « vocation » ? Y croyez-vous ?

C’est clairement plus facile quand il y a une vocation. A la fois pour celui qui joue et pour celui ou celle qui dirige. Mais chez certain.e.s, la vocation vient avec le temps, sous la forme d’une libération. Comme si elle avait été emprisonnée. Tout dépend de ce que l’on vit, des rencontres artistiques que l’on fait, de la manière dont on est dirigé et aussi de sa capacité à se laisser diriger. Mais une « vocation » ne dure pas forcément une vie entière. C’est quelque chose de fragile. J’ai vu beaucoup de talents se fossiliser à force d’être mal dirigés ou parce qu’ils ont fait des choix qui ne favorisaient pas leur épanouissement. Une vocation peut malheureusement aussi être gâchée. C’est un trésor qu’il faut savoir entretenir en essayant de faire les meilleurs choix possibles.