Artmedia: une histoire épique du cinéma français

Pendant près de cinq décennies, l’agence Artmedia a régné sur le cinéma français. Trois hommes, dont le sulfureux Gérard Lebovici, en ont tenu le gouvernail , dépoussiérant au passage la profession d’ “imprésario”. Un livre, initié par le célèbre agent Dominique Besnehard, raconte cette riche épopée.

C’est une histoire comme le cinéma les aime. Une histoire de succès, d’échecs, de rivalités et d’amitiés aussi. A défaut de film, elle a fourni ses arguments à une réjouissante série, Dix pour cent, diffusée sur RTS 1. Il y est questions d’agents, de comédien.ne.s, de pourcentage et, bien sûr, de cinéma. En titrant leur livre Artmedia, une histoire du cinéma français, la journaliste Nedjma Van Egmond et le célèbre agent Dominique Besnehard ne sont pas présomptueux : ils savent, et notamment le second pour y avoir travaillé, à quel point l’agence fondée par Gérard Lebovici en 1970 a joué un rôle fondamentale dans l’histoire du 7e Art en France.
Dans la préface qu’il a rédigée lui-même, Dominique Besnehard évoque une « formidable épopée, qui court sur un demi-siècle et mêle joie et drames, surprises et déchirements, à l’image d’une saga familiale ».

On sait que les familles ont leurs secrets, le livre en révèle quelques-uns. Il se focalise essentiellement sur la triade – parfois des frères ennemis – qui a tenu les clés de l’agence : Gérard Lebovici, son créateur, Jean-Louis Livi, qui deviendra producteur, et Bertrand de Labbey, dont le premier fait d’arme fut de relancer la carrière de Gilbert Bécaud. Trois hommes, trois styles, mais une vision commune : placer les comédien.ne.s au centre. Et des comédien.ne.s, il y en a eu ! Le catalogue Artmedia rassemble le gotha de la profession. Quelques noms ? Belmondo, présent dès les débuts, Romy Schneider, Philippe Noiret, Nathalie Baye, Catherine Deneuve, Gérard Depardieu, Fanny Ardant, Jean-Louis Trintignant… Mais aussi François Truffaut, Alain Corneau, Claude Sautet… « Si tu veux acheter un billet de train, tu t’adresses à la SNCF. Si tu veux faire du cinéma… tu t’adresses à Artmedia ! », résumera l’actrice Dominique Lavanant alors que, au mitan des années 1980, l’agence est devenue incontournable. Une véritable « machine de guerre », selon Thierry Frémaux, le délégué général du Festival de Cannes.

Et le premier à avoir appliqué le noble art de la guerre au cinéma français, c’est Gérard Lebovici. Homme de l’ombre – il fuyait les photographes – qui s’employait à mettre les autres en lumière. Lebo, comme on l’appelait, était un personnage hors du commun. Un pied dans le cinéma, l’autre dans la littérature « subversive », celle qui brasse les idées, d’extrême-gauches si possible. Une anecdote : au début des années 1980, Florent Pagny et l’auteur de ces lignes se retrouvent à Paris après avoir côtoyé le même collège haut-savoyard. Le futur chanteur, qui bosse dans un bar appartenant au (défunt) présentateur vedette Yves Mourousi, dans le quartier des Halles, se fait remarquer par Dominique Besnehard. On le retrouvera bientôt à l’affiche de L’As des as, aux côtés de Belmondo, l’acteur fétiche d’Artmédia. Pendant ce temps, je traine non loin de là, entre les rayons de la libraire Parallèles. J’y découvre les éditions Champs Libre, créées par Lebovici, qui publient notamment Guy Debord (une amitié inaltérable lie les deux hommes), Saint-Just ou encore… Jacques Mesrine !

Les paillettes et la révolution, le divertissement et la réflexion, les stars et Lénine… Gérard Lebovici n’aura cessé de basculer des uns aux autres, jusqu’à ce que 5 balles dans la nuque ne brisent sa curieuse trajectoire dans un parking parisien. L’enquête sera classée sans suite. L’agent (Double ? Triple?) avait 51 ans. Son successeur, Jean-Louis Livi, adoptera une méthode plus « chaleureuse » mais tout aussi efficace. C’est sous sa direction que Dominique Besnehard entre à Artmedia. Un véritable bourreau de travail, qui ne prend même pas le temps de dire bonjour ou au revoir. Si les fêtes sont fréquentes et si le champagne parfois coule alors à flot, tout n’est pas forcément rose dans cette vie qui relève parfois du soutien psychologique. « Il faut gérer des artistes fragiles, trop jeunes, trop vites propulsés au firmament, et parfois tout aussi vite retombés et perdus. Composer aussi avec leurs addictions sévères, à la drogue, à l’alcool. Ramasser des acteurs, des actrices, dans le caniveau… », commente Besnehard en évoquant son métier. Pour le réalisateur Gilles Jacob, c’est lui qui « fait circuler le sang dans l’agence ». Le reste, on vous laisse le soin de le découvrir à la lecture d’un livre qui, s’il regorge d’anecdotes, permet aussi de mieux comprendre les enjeux d’un bon “accompagnement” quand on est comédien.ne. En guise de conclusion, on cède la parole au dernier « grand » patron d’Artmedia, l’aristocrate Bertrand de Labbey : « Les artistes sont d’étranges personnes. Le bonheur leur est inaccessible, car ils sont nostalgiques de leur réussite passée et inquiets des nouveaux venus qui pourraient les marginaliser ». On ne saurait dire mieux…

L.C.

Artmedia, Une histoire du cinéma français. Dominique Besnehard et Nedjma Van Egmond. Editions de L’Observatoire. 239 pages.

Dominique Besnehard. Crédit: Georges Biard-Creative common attribution